La colère de Francky

Francky ne comprend rien de ce qui lui arrive. Deux blouses blanches l’emmènent hors de sa chambre d’étudiant. On le regarde bizarrement. Il aperçoit son voisin avec une mine effrayée. Il ne l’avait jamais vu comme ça. Aucun mémoire lui vient en tête à ce Francky. Il se sent dépossédé. Où l’emmène-t-on ? Pourquoi ? Passé les escaliers, ils arrivent sur le parking. Une ambulance l’attend. On ne lui dit rien. La porte arrière s’ouvre et on l’installe sur un fauteuil. On l’attache. On lui fait une piqure. Pour l’instant, il s’est laissé faire en espérant qu’on lui explique ce qui se passe. Les vitres sont brouillés. La voiture démarre. Il est resté seul à l’arrière. Il les appelle mais ne répondent pas. Il y a une vitre teintée entre la cabine du conducteur et l’arrière. Francky sent l’angoisse monté en lui. Une oppression. Il crie pour essayer de se faire entendre mais aucune réaction. Sa bouche devient pâteuse et sa vue devient flou. Il comprend. On l’a shooté. Une énorme colère monte en lui. Il crie de toute ses forces. Ses cordes vocales s’étirent et le font mal. Un sanglot lui prend. Le temps du voyage lui semble interminable. Il a l’impression que son corps s’allonge comme l’intérieur de l’ambulance. Il respire rapidement puis une sensation de flottement, de vertige.

Arrêt de véhicule. Des voix. Francky sent qu’on le porte mais il est KO. Une lumière forte puis noir complet. Son corps lui semble absent, quelque part sur un lit. Son esprit est dans un néant étrange où il voit d’étranges personnes qui lui parle dans le vide.

Sensation de plongeon.

Francky se réveille brusquement dans sa chambre d’étudiant. On frappe à sa porte. Il regarde son bureau. Il a oublié de prendre ses médicaments. Il ouvre. Deux infirmiers. Il refuse de venir et explique sa situation et dénonce la peur inconsidérée de ses voisins de chambre. Il n’est pas fou et il n’est dangereux pour personne. C’est la première fois qu’il oublie ses médicaments. Il a dû crier ou rire sans le vouloir. Francky reconnait qu’il est schizophrène mais ce n’est pas une raison pour ne pas le traiter comme une personne entière. Il sort dans le couloir pour invectiver ses voisins qui sont sortis pour voir la scène. Non, il n’est pas fou et ce n’est pas contagieux. « C’est une maladie dont je ne suis pour rien, et je fais le maximum pour me soigner. Je veux réussir mes études comme vous. Je veux vivre le plus normalement possible malgré tout cela. ». Il continue sa plaidoirie comme il avait déjà fait dans une autre fac. Cela avait bien marché. Et là, il est obligé de se faire entendre.

Francky n’est pas seul dans cette situation comme tant d’autres personnes qui ont des maladies psychiques ou des maladies cognitives rares incomprises par la société et qui sont rejetés.

Fugue d’un éducateur

Il est 7h20. Les jeunes ont commencé à émerger pour prendre le petit déjeuner. Mais rien n’a été préparé. L’un d’eux a pourtant entendu la voiture de l’éducateur arriver sur le parking du foyer.

Le plus âgé, Séraphin, se rend au bureau de l’éduc’ et aperçoit que des feuilles ont été éparpillées. Et là, stupeur, la fenêtre est grand ouverte. Un petit mot sur la fenêtre écrit avec de la mousse à raser :

« Ciao, les jeunes, débrouillez-vous ! ».

Séraphin appelle ses huit autres camarades pour se mettre à la chasse de Maxime, l’éduc.

Le plus jeune, Dylan, 10 ans, récupère un détecteur de métaux. Parce que Maxime a des dents plombés, cela peut aider, dit-il. Les autres le regardent amusés. Et c’est ainsi que les 9 jeunes sortent de la rue et se répartissent en plusieurs groupes pour le retrouver.

Calvin et Henri, les inséparables font route vers l’étang où Maxime les emmenaient souvent pêcher. Chaque petit groupe avait pris le soin de prendre un talkie-walkie. Les passants étaient ahuris de les voir courir et concerter ensemble. Les habitués du quartier se souvenaient plutôt d’eux comme des chamailleurs sans nom.

Chaque recoin de rue était fouillé et pleins de questions aux passants s’ils n’auraient pas vu un gars barbu avec une boucle d’oreille à l’oreille droite, brun avec une queue de cheval. Une piste est évoquée vers le bois près de l’étang. Echanges par talkie-walkie, ils se retrouvent tous sur une place où trône une sculpture étrange aux milles couleurs. Ils longent l’étang et s’enfoncent dans le parc et là, ils aperçoivent un tissu orange. Dylan remarque une écriture, celle de Karima, une éducatrice :

«  Vous êtes sur la bonne voie. Continuez ». Et c’est ainsi qu’ils parcourent des sentiers jonchés de tissus oranges. Et là, Séraphin s’écrie : «  M’enfin, les gars, vous ne souveniez plus ? On avait entendu des semblants de chuchotements de la part des éducs qui nous feraient une surprise un jour. »

Soulagés que Maxime n’ait pas fait une vraie fugue. C’est un jeu grandeur nature qu’ils vivent pour la première fois.

Tout en marchant en peu rapidement, ils arrivent enfin dans une clairière où se trouvent un cabanon, et une grande table dressée jonchée de mets. Toute l’équipe éducative dont le chef de service les accueillait en les applaudissant. Parce que les jeunes étaient arrivés ensemble et c’était un défi que l’équipe voulait relever.

Chacun était tout étonné et joyeusement surpris. Ils se précipitent autour de la table pour s’empiffrer de pains aux chocolats, de brioches. Des jus d’orange fait maison coulaient à flots. Maxime fit une photo de cette bande de lurons pour marquer le coup.

Et la journée n’est pas finie pour eux car c’est la fête du foyer.

L’équipe avait pu lancer ce défi après un long cheminement avec chaque jeune, en travaillant sur leurs capacités, leurs savoir-être et savoir-faire.

Malgré cette fête, cela n’empêchera pas les coups de colères dans les prochaines semaines dues aux situations familiales de chacun mais au moins une relation de confiance s’est établie. Néanmoins la confiance se travaille chaque jour.

FIN

(Histoire complètement fictive)

La route d’Eddy – 5 et fin

Dans sa doche rouge et noire qu’il a bichonnée, il roule depuis une heure sur les routes provençales. Enfin, il arrive au village où il retrouvera enfin sa fille. Il gare sa voiture non loin des remparts en pierres blanches et grises. Il arpente quelques rues pour enfin arriver devant une grande maison avec une vue sur la vallée parsemée de champs de lavande et d’oliviers.

L’assistante sociale l’attendait au portail. Il est à l’heure.

Le portail en bois bleu s’ouvre. Un couple avec deux filles les attend dans le jardin, au seuil de la maison, sous un pin parasol.

Eddy reconnaît tout de suite sa fille. Il se souvient des photos de sa femme jeune et lui ressemble en tout point. Son cœur bat à cent à l’heure et l’émotion lui prend à la gorge. Mais il arrive à se contenir.

L’assistante sociale fait les présentations. Echanges cordiales et chaleureuses. Célia regarde son père avec curiosité et appréhension.

Eddy s’agenouille pour être à la hauteur de Célia, grande fille de 10 ans aux courts cheveux châtains frisés et aux yeux verts. Elle a des taches de rousseur sur tout son visage. La copine de Célia, Agathe, qui doit avoir la même âge qu’elle, s’accroche à elle.

Echanges de mots simples.

La mère d’Agathe invite chacun à s’asseoir autour de la table remplie de petits gâteaux et de bouteilles de jus de fruits.

Revenu chez lui, Eddy déborde de joie tant qu’il n’avait pas encore saisi l’importance de la rencontre durant son retour. Il se met dans son jardin avec un verre de jus de figue. Ses pensées se posent au fur et à mesure que le jour s’estompe. Il regarde les premières étoiles.

Aline, notre fille habite dans un magnifique endroit et la famille d’accueil est adorable. Elle est bien entourée et semble heureuse. Je ne pourrai pas la soustraire d’un lieu où elle a grandi. Si elle vient chez nous, elle sera toute seule dans un endroit inconnu, sans ses copines.

Bien sûr, je suis son père mais pour elle, je suis un inconnu. Pour l’instant, je vais aller la voir comme il est convenu un week end par mois. Puis quand elle voudra, nous passerons des vacances ensemble. C’est elle qui décidera si elle souhaite vivre à la maison. Je ne souhaite que le bonheur de ma fille. Je serai à sa disposition au téléphone si besoin, puis je pourrai subvenir financièrement à ses besoins pour l’école ou pour ses vacances. Je souhaite vraiment être le plus juste possible. Je ne veux pas l’étouffer… excuse-moi Aline, le mot m’est sorti comme ça. Tu m’as comprise, je pense. Cela prendra le temps qu’il faudra pour qu’elle revienne dans notre maison.

Les mois se sont écoulés et Eddy ne regrette pas son choix. Célia est épanouie et semble plus heureuse au fil du temps quand son père est là le week end. Quand ils se voient, Célia lui posent pleins de questions sur le passé de son père. Eddy ne lui cache rien et c’est réciproque.

Eddy se dit qu’il a beaucoup de chance et que c’est une récompense après ses années de galère, de remords et de solitude.

C’est à l’âge de 15 ans que Célia décide d’habiter chez son père, soit 5 ans après leurs retrouvailles. Elle se rapproche ainsi du lycée où elle retrouvera aussi sa copine d’enfance Agathe.

Aline, Nous voici réunis. Le temps a été nécessaire et la patience a eu du bon.

 

FIN

La route d’Eddy – 4

Le rendez-vous avec l’assistance sociale a été pénible. Eddy a dû revenir sur son parcours de réinsertion après ses 5 ans de prison pour homicide involontaire. Heureusement, il a découvert qu’il n’était pas déchu de l’autorité parentale. Première bonne surprise. L’assistante sociale ne lui a rien promis car c’est au juge de trancher. « Nous sommes obligés de mener une enquête sur votre vie actuelle ». Eddy s’y est soumis bien sûr.

C’est presque un retour en arrière avec des enquêteurs qui viennent visiter la maison, scruter les papiers, le budget d’Eddy. Ce dernier est confiant. Il a un poste stable de paysagiste avec un salaire correct qui lui permet de subvenir à ses besoins.

Longueurs des procédures juridiques. Multiplications d’entretien avec un psychiatre puis un éducateur spécialisé. Véritable marathon. Eddy tient bon en pensant à sa fille, en aménagement au mieux une chambre pour elle. Assez simple pour qu’elle-même puisse la décorer à son goût.

J’y arriverai Aline. Nous serons réunis tous les deux. Ta fille reviendra dans notre maison. Quelle image a t-elle de moi ? Sera-t-elle bien ? Acceptera-t-elle de vivre avec celui qui a tué sa mère ? Oui, je sais, je ne suis pas responsable mais quand même, c’est un poids.

Au bout de neuf mois de procédures, il attend une réponse par la poste. Un courrier recommandé. Assis sur son banc en bois qu’il a fait lui-même, il surveille l’arrivée du facteur. Trépignation. Une angoisse au ventre. Il respire doucement pour faire passer son stress. Il imagine tous les scénarios possibles. Non, stop, il ferme ses yeux et tente d’écouter ce qui l’entoure. Vigilance et disponibilité sur l’instant présent. Cela l’apaise. Chant d’un rossignol. Passage d’une voiture. Crissement d’une porte en ferraille rouillé. Sonnette de vélo. Eddy ouvre les yeux et voix le facteur. Le facteur, charmante femme rousse aux yeux verts, lui tend une lettre recommandé et un stylo. Signature. Remerciements.

La postière s’éloigne et Eddy regarde le courrier et n’ose pas l’ouvrir. Cela vient bien du tribunal. Grande respiration et tremblement. Il ouvre.

 

[….] Rendez-vous dans la famille d’accueil de Célia, les […] le jeudi 20 aout 2014. Cette première rencontre sera suivie d’un temps d’échanges avec l’équipe pour élaborer un calendrier et un accompagnement personnalisé entre Célia et Mr Henisterg. […]

Sanglots de soulagement. Il le relit plusieurs fois.

Ö mon amour, nous reverrons notre fille.

 

[A suivre…]

La route d’Eddy- 3

Arrivé chez lui, à l’orée d’un petit village, il se met à ranger du fond en comble. Il fait du tri, jette, nettoie.

Ses voisins n’en reviennent pas de voir Eddy travailler comme un fou, lui qui paressait et buvait dans son transat usé. Ils voyaient même Eddy refaire le crépi, nettoyer ses volets puis les poncer, les repeindre. Un des voisins apportent une bouteille d’eau et des fruits à Eddy. Ce dernier accepte avec plaisir sans méfiance, alors que c’était le cas depuis des mois et des mois

De jour en jour, Eddy se transforme. Sa barbe devient moins hirsute aux couleurs poivre-sel. Il se rend au cimetière du village entouré de cyprès centenaires en pantalon en velours orange et une chemise claire.

Devant la tombe en pierre grise de sa femme, il se recueille.

Et voilà, Aline, je te demande encore pardon. Même si je n’y suis pour rien. Tu le sais bien. Je t’ai étouffé sans m’en rendre compte. Tu étais trop faible pour te débattre et me mettre à terre. Quel choc j’ai eu quand je me suis réveillé. J’avais appelé le médecin mais les policiers ont aussitôt répliqué car tu étais morte de façon non naturelle. J’ai été embarqué. En garde-à-vue. Interrogations interminables. J’ai été condamnée pour homicide involontaire. Ma fille Célia a été placée.  10 ans ont passé maintenant. J’ai pris rendez-vous avec l’assistance sociale.

Eddy sort du cimetière et déambule à travers la ville pour arriver enfin au tribunal d’instance. Le ventre noué, il monte les escaliers et demande à voir l’assistance sociale. Il a rendez-vous. Regard suspicieux de la dame de l’accueil qui lui semble se souvenir de cette homme.

Eddy aperçoit au loin le banc. Il ne veut pas se souvenir. Et pourtant, il se revoit perdu, hagard, hurlant de douleur et de peine. Puis par moments, complètement déconnecté emmené par deux gardiens de la paix vers la fourgonnette.

Monsieur Henisterg ?  Elle vous attend.

Reverrais-je ma fille ?

( A suivre…)

La route d’Eddy – 2

Douleur insoutenable au genou et à la tête. Il se retrouve au seuil de la tour, plié en trois, complètement groggy. Eddy essaie malgré tout de reprendre sa respiration avec des râles de temps en temps.

Je sais Aline. Je respire. Il me faut reprendre mon souffle. Ne pas se laisser aller. Je te promets ma douce de persévérer coûte que coûte.

Il rampe vers son sac malgré le sol sec et rocailleux. Il trouve sa trousse à pharmacie. Antalgiques et bandages pour caler son genou. Il n’a rien de cassé. Juste un énorme hématome. Malgré un lancement fulgurant au niveau de la rotule, il est rassuré. Ses mains tremblent et un sanglot lui prend à la gorge. Eddy tente de se contrôler, de reprendre souffle pour ne pas perdre pied.

Il lui semble apercevoir une ombre descendre de la tour.

Une peur l’envahit comme si un démon du passé veut le reprendre dans sa folie. Non, il n’est pas fou Eddy. Il était juste désespéré. Comment aurait-il pu vivre serein après ce qu’il a vécu ? Il a envie de crier et d’hurler sa rage pour le faire fuir. Reprendre raison, rester lucide.

Allons-y Aline. Je refuse de retomber une fois pour toutes. Je sais que je suis coupable mais il faut tourner la page une fois pour toute. Coupable mais pas responsable. Comment les autres ont-ils pu comprendre, juger ce que j’ai vécu ? Que savent-t-ils de mes douleurs, du poids que je porte ?

Aline, j’aurai tant voulu que tu vives. J’aurai tant voulu entendre tes cris pendant que je dormais.

Eddy reprend son bâton, se redresse difficilement. La douleur passe doucement. Eddy arrive à avancer malgré tout. Il boite tout en délicatesse. Son sac à dos lui semble moins lourd. Etrange sensation.

Un cerf surgit de la forêt, majestueux avec ses bois ramifiés. L’animal s’arrête, fixe du regard Eddy. Fier, il reprend sa route tel Artaban*.

Oui, Aline, de la mesure en toute chose. Redevenir fier mais pas prétentieux. J’ai pris ma décision.

(A suivre…)

*Fier comme Artaban : Cette expression est une référence au roman historique « Cléopâtre », paru au XVIIe siècle. Un des personnages, Artaban, était un individu extrêmement arrogant et fier. Depuis cette époque, « fier comme Artaban » est restée et désigne une personne trop prétentieuse. Source : L’internaute.

Episode précédant : La route d’Eddy – 1

La route d’Eddy – 1

Eddy est tout simplement là, en train d’observer la vallée. Juste assis sur un banc pour essayer d’oublier ses galères, ses échecs, ses désillusions. Eddy est un homme d’une quarantaine d’année, au visage marqué par la vie. Et pourtant ses rides portent la joie de vivre. Malgré les coups et les trahisons vécues, il ne désespère pas. Il est bien conscient de la réalité et qu’il ne peut pas la fuir, quand bien même elle le pèse lourdement. Déjà veuf et père d’une fille qu’il n’a plus revue depuis la mort de son épouse.

Il prend son bâton et reprend sa marche. Une marche au gré de ses envies, en fonction de son état physique. Il a coupé tout lien avec sa famille, ses amis pour un temps. Le temps de se retrouver, le temps de revenir plus juste avec lui-même et avec les autres. Marcher pour ne rien attendre des autres. Marcher pour ne plus se tracasser et s’épuiser pour l’autre et se sentir libre. Marcher pour trouver cette liberté intérieure qu’il cherche depuis si longtemps.

Une biche lui coupe la route et s’arrête à l’orée du bois. La biche se retourne puis repart. Eddy s’émerveille puis aperçoit une meute de sangliers. Une flopée de faisans se survole sans crier gare. Tout étourdi, il continue sa route vers des ruines d’un château aux roches volcaniques.

Ses pieds se posent délicatement sur le chemin herboré parsemés de digitales et de marguerites. Le vent du nord souffle et caresse ses joues bouffées par une grosse barbe roussâtre.

Aline, ma chère épouse. J’aimerai tant que tu sois là à marcher à mes côtés, pour admirer ses ruines que tu aurais aimé dessiner. Tu es là, en fait. Je sens ton parfum. Tu me souris à chaque instant et me souffle ton rire en évoquant nos nuits chaudes dans notre camping-car. Qu’est-ce qu’on a fait comme folie, dis ? Tu dois être en train de veiller en même temps sur Célia. Elle doit avoir 10 ans maintenant dans une famille d’accueil. On n’a jamais voulu me donner son adresse.  Tu dois savoir pourquoi.

Tout en parlant à voix haute, il grimpe dans une tour en ruine. La montée est étroite et sombre. Il parvient au sommet et jouit d’une vue extraordinaire sur le plateau désertique et la vallée. Soudain, un vertige lui prend et manque de basculer. Son sac passe par-dessus sa tête. Il s’agrippe à un créneau. Son cœur bat à cent à l’heure et ses jambes tremblent.

Aline, je t’assure. Je n’ai pas voulu. 

Reprenant ses esprits, il tente de redescendre mais une force le pousse dans l’escalier….

(A suivre…)

La curiosité d’Alberto ou la désobéissance civile

Piqué sur le vif, en regardant le journal, Alberto s’énerve contre ces immigrés qui envahissent le territoire. Il se réjouit des mesures préventives empêchant les étrangers de passer la frontière. Il ne pourrait pas rester chez eux, se dit-il. Alberto galère déjà pas mal à trouver un boulot. Il entretient comme il peut sa petite maison avec sa femme. Ils ont un petit potager ouvrier qui se trouve à 15 minutes à pied de chez eux, près d’une autoroute.

Un matin, au lieu de regarder les médias nationaux, il essaie de lire un autre type de journal. Comme ça, pour changer. Par curiosité. Non, pas par voyeurisme. Il ne souhaite pas se délecter des malheurs des autres. Il ne sait pas pourquoi mais il pressent que quelque chose ne tourne pas comme il se l’imagine. A cause de cette nuit. Il a fait un mauvais rêve. Alors, Alberto souhaite vérifier. Pour cela, il a besoin de recouper les informations ; Voir d’autres types d’informations. Et surtout de voir la fiabilité des informations. Oui, Alberto a une lucidité soudaine qui le surprend. Sa femme se demande s’il n’est pas malade. Il est tout calme son bougre d’homme.

Enfin, comme il a internet depuis peu, il tombe par hasard sur une vidéo sur Mare Nostrum. Sur le sauvetage des réfugiés sur les bateaux. Puis une autre vidéo sur la condition de vie des immigrés dans des centres de rétention. Enfin, il lit un témoignage d’un sub-saharien sur son parcours. Il est effaré et n’y croit. C’est aberrant. On ne peut pas vivre des choses pareils tel que se confronter chaque jour à la mort, à la soif, à la faim avec une peur qui vous tenaille jusqu’aux entrailles. Mais alors qu’est-ce qu’il les amène hors de son pays ? Est-ce vraiment le désespoir ? Ne serait-ce pas du courage et une volonté de vivre de vouloir s’échapper d’un monde où il risquerait de mourir à chaque instant ?

Alberto est ébranlé. Il perd un peu ses repères. Il se souvient de son père qui avait immigré d’Italie. Il ne souvient pas qu’il ait tant galéré. Il avait souffert mais vraiment autrement pour vouloir offrir une vie plus digne à sa famille, ses enfants. Alors pourquoi ces réfugiés n’auraient pas droit de trouver une meilleure vie ailleurs ? Chacun a sûrement des talents à donner, à offrir au pays qui l’accueille.

Puis Alberto pense aux gouvernements européens et africains. Quels sont leurs responsabilités dans les conflits qui secouent beaucoup de  pays. Quels sont les responsabilités des multinationaux qui maintiennent des injustices à n’en plus finir ?

Toutes ces questions en une journée. Alberto se sent épuisé mais changé. Sans parler à sa femme, il va voir une association qui s’occupe des réfugiés entre autres, la Cimade. Il découvre aussi l’existence de Coordination Urgence Migrants, Forum réfugiés, . Il est rassuré que des associations existent. Mais il pressent que cela ne suffit pas. Les jours passent et ressent le besoin d’informer, de sensibiliser les personnes.

Ce n’est pas parce qu’un étranger arrive qu’il va prendre mon boulot. Il a autant sa place comme je peux avoir ma place, se dit-il.

Sa femme a bien remarqué son manège. Un soir, elle l’engueule bien gentiment car Alberto est souvent en ville pour rencontrer des associations, pour donner un coup de main.

Et moi, qu’est-ce que je peux faire ? Lui lance-telle ?

Alors Alberto lui fait part de ses idées. Comme il est maçon et bricoleur, il souhaite construire des maisons assez simples, pratique pour les migrants de passage. Il avait repéré un champ en abandon. Il en avait parlé au vieux propriétaire qui est d’accord en échange de propreté, d’entretien du terrain.

C’est ainsi que les jours suivants, il construit un petit village, avec son réseau de voisins et des migrants qui sont partis prenant du projet. Au-delà de la loi parce qu’il n’ pas de permis de construire. Avec l’administration, cela aurait trop traîné. La solidarité et le partage prime pour que chaque réfugié retrouve sa dignité, en se sentant utile et reconnu tel qu’il est.

Alberto sent bien qu’il est hors-la loi mais la désobéissance civile devient nécessaire quand la loi est devenue écrasante pour ceux qui sont dans la misère. Il souhaite que la Loi serve plus les plus pauvres et moins les nantis. Trouver un juste équilibre.

Arsène ou une certaine philosophie

Juste là. En train d’observer ces gens qui marchent au gré de leurs humeurs, de leurs envies. Assis sur un banc dans un parc, il prend son temps pour regarder la diversité de la foule. Dans sa main, il tient son petit chiffon pour essuyer ses lunettes au cas où. Au cas où une brise déposerait une couche de poussière sur ses verres. On ne sait, jamais, hein ?

Il pense à sa femme, Maud, endormie sous les marguerites d’éternité. Elle vient parfois lui murmurer des mots doux dans ses songes. Il lui prend parfois de sourire à leurs amours passionnées, à leurs moments de tendresse. Non pas nostalgie mais pour tenir le fil de sa vie. Pour laisser éveiller ses sens, ses sensations. Il aime dire bonjour aux jolies filles et sentir leurs odeurs. On pourrait le traiter de pervers. Et pourtant, il n’a aucune envie d’aller plus loin. Il ne s’offusque plus pour cela. Cela ne sert à rien de rouspéter. On croira qu’il délire. Un début de démence sénile. Il sait bien qu’il a toute sa tête, bon sang de bonsoir. Pas sa faute parfois si des mots bizarres sortent de sa bouche sans autorisation.

Il aime bien rire. Tout seul même. Par hygiène mentale. Pour ne pas sombrer dans la dépression ou la folie. Alors une douce et saine folie où il pourra mourir heureux sans être gâteux ou légumineux. Il aime bien soigner sa barbe blanche frissonnante. Cela plait à ses petits enfants qui le voient deux fois par an. En été et à Noël. Le reste du temps, il s’occupe de son petit potager et d’aller visiter ses voisines aussi âgées que lui. Non, il ne va pas les draguer. Maud le comble toujours malgré son absence. Il va les voir pour maintenir le lien social. Il sait bien que la solitude tue et ne veut pas mourir seul. Son souhait, c’est de réussir sa mort. Être entouré !

Le langage de Sophie

Dans l’accompagnement des jeunes, elle s’évertue à employer un certain langage. Un langage qui lui a beaucoup demandé d’effort sur elle-même. C’est surtout pour mieux appréhender le monde avec un autre regard, un regard plus juste et plus près de la vérité.

La négation a disparu des pensées de Sophie. Les limites, pour elle, sont des cadres et ce qui est interdit sont juste des balises qui demandent de l’attention, de la réflexion.

Ensuite, elle essaie de tout positiver. Les échecs sont des tremplins.

Les non deviennent des stop. Elle essaie d’établir des relations positives avec chaque personne et de proposer un cadre qui peut amener un comportement positif. Surtout elle s’emploie à relever 4 fois plus de qualités si elle a dû nommer un élément négatif. Elle valorise toujours le jeune devant ses pairs et ses collègues. C’est une manière de construire un projet qui ait du sens et porteur d’espoir, d’avenir.

Elle fait le maximum pour être objectif et de ne pas porter de jugements. C’est un vrai challenge qu’elle prend. Elle tente aussi de prendre soin d’elle-même pour être plus disponible aux autres, pour minimiser les luttes de pouvoirs et d’établir des liens positifs envers ses jeunes et ses collègues.

Evidemment Sophie ne vit pas dans un monde parfait et elle est souvent en confrontation avec des collègues impulsifs, qui se moquent d’elle, qui ont une toute autre vision de l’éducation.

 

Et vous ? Qu’en pensez ? Avez-vous essayé d’avoir une attitude bienveillante, sans hypocrisie bien sur. Ce n’est pas de la bienveillance de guimauve. L’attitude peut être aussi ferme pour un cadre qui a été dépassé. Vous avez des expériences à nous partager ?