Etre un comédien sourd….

Comment je vis le théâtre en tant que sourd chez les entendants ?

Effectivement, j’ai toujours évolué lors des ateliers, des stages, des pièces de théâtre avec des entendants. Sauf une année, où nous étions deux personnes sourdes appareillées.

Cela m’a demandé un sacré travail d’écoute et d’humilité. La plupart du temps, mes collègues étaient très attentifs pour que je puisse comprendre lors du travail sur scène (impros, répétions de scènes). J’ai surtout aussi pu trouver des compagnies de théâtre très bienveillants et vigilants.

Lors des consignes, je me mettais souvent en face du prof ou pas loin. Euh, pas tout le temps car ils parlent souvent fort et distinctement. Un vrai plaisir et un vrai confort.

Dans la compagnie de théâtre dans lequel j’ai évolué un certain nombre d’année, plus précisément Le Voyageur Debout, les improvisations étaient vécus de manière très intérieurs, fortes et en prenant le temps d’être. Ce n’est pas comme les matchs d’improvisations. Cela je ne pourrai pas. J’avais tenté mais cela partait en ping-pong et c’était trop dans le challenge et la rapidité.

Puis les impros, cela se vivait aussi par le corps, les expressions du visage, les attitudes. Je pouvais avoir assez d’éléments pour ne pas tomber à côté de la plaque. Et si cela arrivait, cela n’était pas grave. Cela fait partie de la vie et on pouvait toujours rebondir.

Je vous partage une expérience très récente lors de mon dernier stage de théâtre. Nous avions fait du masque qui recouvrait la moitié du visage. Une vraie galère pour comprendre ma partenaire. J’ai dû m’appuyer sur ses intonations de voix, ses gestes et sur le scénario que nous avions construit ensemble.

Si le théâtre se vit à fond, c’est pour moi une vraie école de vie où l’on apprend à s’écouter, à être écouter, à s’exprimer et à pouvoir laisser l’autre s’exprimer.

Ce qui est pour moi essentiel quand je fais du théâtre, c’est d’avoir la possibilité de me relaxer, de lâcher-prise dans mon corps et mon esprit pour être le plus disponible à soi et aux autres. Faire du silence en soi et accueillir avec joie, avec un petit sourire intérieur ce qui advient.

Pour le comprendre vraiment, il faut le vivre et l’expérimenter sans cesse.

Le théâtre m’a permis d’aller au-delà de ma surdité, d’explorer toutes les facettes de notre humanité, car c’est un jeu et un plaisir de ressentir, goûter ce que nous ne pourrions pas faire dans la vraie vie.

 

Et si je ne te jugeais pas ?

Et si je ne te jugeais pas ?

Parce que si je te juge, je te condamne. Je te mets dans une étiquette. Je risque de t’enfermer dans une idée que j’aurai de toi. C’est complètement injuste. Qui suis-je pour te juger ?

En te jugeant, je risque de te comparer aux autres qui seraient meilleurs ou plus faible que toi. On ne peut pas comparer, cela ne sert à rien car tu es unique, chacun est unique avec sa personnalité propre, son personnalité propre.

Si te juges, je te coupe d’idée d’avancer dans ce que tu croyais bien faire.

Pourquoi te jugerais-je ? Parce que tes idées ne correspondent pas à mon mode de pensée. Parce que nous n’avons pas les mêmes valeurs. Et alors ? Nous avons sûrement un point commun. A nous de le chercher et nos différences peuvent être complémentaires.

C’est difficile de ne pas juger, j’en conviens.

On se fait vite des a-priori dans notre tête, en jugeant l’autre dans l’instant T.

Je repense à ce que j’ai vécu, il y a deux jours dans le métro. Je cherchais un ticket dans mes affaires pour passer la borne. Et là, j’aperçois un jeune d’origine magrébine, avec un bras cassé. Tout de suite, je jugeais qu’il m’attendait pour passer derrière moi pour frauder. Je lui ai dit qu’il devait payer. « Laisse-moi. Va te faire foutre. Je vais rien faire ». Puis d’autres voyageurs sont passés par la borne et il en a profité pour passer derrière eux. J’ai osé lui lancé: « Faux-cul, couillon ».

Je sais, j’avoue. C’est idiot parce que ça ne fait avancer à rien. Qu’est-ce que j’en savais de ce qu’il vivait à l’instant ? Peut-être qu’il était vraiment dans la merde et devait prendre le métro. Je n’en sais rien.

En jugeant, c’est apporter un regard négatif sur l’autre et sur soi-même par la même occasion.

A quoi ça rime de juger, n’est-ce pas ?

Alors quoi faire ? Je peux dire que je ne suis pas d’accord mais je n’ai pas à accuser l’autre au risque qu’il se braque et n’écoute plus.

 

Non, je ne veux pas te juger parce que tu vaux mieux que ça. Puis en jugeant, je risque aussi d’être jugé. Et si on cassait le cercle vicieux du jugement, de la comparaison pour avancer ensemble malgré la violence, en toute justesse et lucidité.

Le langage de Sophie

Dans l’accompagnement des jeunes, elle s’évertue à employer un certain langage. Un langage qui lui a beaucoup demandé d’effort sur elle-même. C’est surtout pour mieux appréhender le monde avec un autre regard, un regard plus juste et plus près de la vérité.

La négation a disparu des pensées de Sophie. Les limites, pour elle, sont des cadres et ce qui est interdit sont juste des balises qui demandent de l’attention, de la réflexion.

Ensuite, elle essaie de tout positiver. Les échecs sont des tremplins.

Les non deviennent des stop. Elle essaie d’établir des relations positives avec chaque personne et de proposer un cadre qui peut amener un comportement positif. Surtout elle s’emploie à relever 4 fois plus de qualités si elle a dû nommer un élément négatif. Elle valorise toujours le jeune devant ses pairs et ses collègues. C’est une manière de construire un projet qui ait du sens et porteur d’espoir, d’avenir.

Elle fait le maximum pour être objectif et de ne pas porter de jugements. C’est un vrai challenge qu’elle prend. Elle tente aussi de prendre soin d’elle-même pour être plus disponible aux autres, pour minimiser les luttes de pouvoirs et d’établir des liens positifs envers ses jeunes et ses collègues.

Evidemment Sophie ne vit pas dans un monde parfait et elle est souvent en confrontation avec des collègues impulsifs, qui se moquent d’elle, qui ont une toute autre vision de l’éducation.

 

Et vous ? Qu’en pensez ? Avez-vous essayé d’avoir une attitude bienveillante, sans hypocrisie bien sur. Ce n’est pas de la bienveillance de guimauve. L’attitude peut être aussi ferme pour un cadre qui a été dépassé. Vous avez des expériences à nous partager ?