Journal à mon père inconnu – 6

Samedi 14 aout

Je relis encore une fois mon acte de naissance donné par ma grand-mère hier. Je suis né le 18 octobre 1999  à 19h52 à l’hôpital de  saint Louis du Sénégal, de Arsène Gomèse Badiane et de Catherine Emmanuelle Sansnom. J’ai déjà regardé un atlas et je me suis mis à t’imaginer Papa sur les rives du fleuve. A t’imaginer en train de me guetter à l’horizon. Je me mets à rêver à décoller pour le Sénégal, à découvrir ma vraie famille. Ma grand-mère m’a juste raconté comment je suis né mais elle lui reste des zones d’ombre. Elle ne sait rien de plus. J’avais senti qu’elle me cachait des choses mais peu importe. Je sais maintenant d’où je viens. Je suis heureux. J’ai un but pour pouvoir marcher, guérir plus vite. Te rencontrer, te connaitre Papa.

Attends, j’entends des cris dans le couloir….

Papa, je tremble. C’était maman qui a essayé de me voir. Elle a essayé de forcer le passage. Je l’ai à peine aperçu. Elle a crié : «  Rami, je t’interdis d’aller au Sénégal. Sinon,  J’aurai ta peau. » Puis un flic l’a embarqué. Un médecin est venu me voir pour me dire que je changerai d’hôpital par mesure de sécurité, avec l’accord du juge. Qu’as-tu donc fait Papa pour que je sois interdit de séjour chez toi ?

Malgré cette peur qui me tenaille, une folle envie de défier ma mère me prend. Je veux prendre ce risque. Je me préparerai au voyage.

 

( A suivre…)

Journal à mon père inconnu – 2

Mardi 17 juillet

Me voici, Papa. Je te remets ma colère envers maman. Enfin, celle qui est censé être ma mère. Pourquoi me hais-t-elle ? Nous sommes bien allés chez le médecin  hier pour Loufi. J’étais resté dans la salle d’attente. Quand ils sont sortis du cabinet, le médecin m’a aperçu et a demandé de me voir. Ma mère a refusé sous prétexte que je vais très bien. Je me suis levé pour essayer au cas où. Elle m’a regardé sévèrement, avec des yeux noirs. Je n’ai pas eu peur. Je suis passé devant elle et m’a murmuré que j’allais passer un mauvais quart d’heure. Le médecin n’a pas entendu mais il me semblait qu’il avait deviné. Il a assuré à ma mère qu’il n’en avait pas pour longtemps. C’est vrai que c’était court mais ô combien intense et libérateur. Il m’a ausculté et posé quelques questions. Puis discrètement, il m’a dit : «  Je vais voir ce que je peux faire pour toi. » Je me suis senti écouté, entendu. Cela m’avait fait un bien fou. Tellement cela m’avait fait du bien que cela m’a donné de la force pour la suite. Je savais bien ce qui allait m’arriver. Mais pas complètement. J’ai connu pire. Nous sommes rentrés à la maison après avoir déposé Loufi à l’école. En arrivant au bas de l’immeuble, elle m’a emmené à la cave et frappé. Elle m’a enfermé et m’a menacé qu’elle me tuerait si je la dénonçais. Alors je suis resté toute la journée d’hier dans le noir, avec à peine de l’air qui arrivait par une petite fenêtre. J’avais attendu jusqu’au soir à rester à peine allongé tellement il y avait le bazar. Maman m’a ramené à l’appart. J’ai été assommé par la lumière et la fatigue. J’ai pu boire et me suis écroulé sur mon matelas.

Voilà, Papa, Maman est sorti et m’a enfermé à clé. Je suis trop faible pour m’enfuir et même pour crier. Mais j’ai de la force pour t’écrire et te dire ma haine envers ma mère.

Merde, maman revient déjà….

 

( A suivre…)

Daouda (Histoire intégrale)

Daouda. Je m’appelle Daouda. Je viens d’un village nommé Kalinto, au Sénégal pas loin de Tambacounda. Mes parents n’avaient plus les moyens de me nourrir et m’ont confié à un de leurs amis qui voulait ouvrir un daara à Thiès. J’y suis depuis trois ans. Tous les matins, je me lève à 6 heures muni de ma boite de conserve pour mendier. Nous sommes trente et nous avons à peine mangé un bout de pain rassis chacun avant d’aller en ville. Nous allons souvent à la gare routière pour chanter nos sourates coraniques. Nous comprenons rien à ce qu’on chante mais au moins, ça marche. Des voyageurs nous donnent quelques francs cfa, ou bien des petits sachets d’arachides et des morceaux de sucre. A peine au bout de quelques heures, nous sommes sales de poussières. Parfois, des chauffeurs nous repoussent à coups de bâton. Mais nous y revenons sans cesse à un autre endroit de la gare. Il y a énormément de grands cars blancs remplis de sacs, de chèvres, de poules. Y a même des gens sur le toit pour tenir les gros sacs à rayures blancs et rouges. Puis il y aussi des taxi-brousses où chacun doit être remplis avant de partir. Parfois on va chanter et essayer d’attendrir les voyageurs qui attendent. Je me souviens d’un jeune toubab barbu qui m’avait souri et nous faisait rire. Cela nous donnait le moral. Les soirs, quand nous rentrons au daara, le maitre nous battait à coups de balai de paille si nous n’avions pas ramené assez de sous. Le plus jeune du groupe prends les plus gros coups pour servir d’exemple.

Malgré la peur qui m’envahit et la faim qui me tenaille, je veux fuir mais la honte et le déshonneur tomberait sur ma famille. Puis notre maitre est devenu puissant. Il nous disait que les sous qu’on ramenait servaient à nourrir nos familles, et que nous avions de la chance d’être logés et nourris.

Logés ? Nous dormons à trente dans une petite pièce sombre, humide à même le sol. Nourris ? Nous n’avons qu’un morceau de pain le matin et un bouillie de mil le soir.

Un jour, je croise un oncle qui m’a reconnu et qui était venu de mon village. Je lui demande des nouvelles de mes parents. Il prend un air tout surpris et triste. « Mais Daouda, tes parents sont morts depuis un an ». Une grosse colère surgit en moi. Je ne le crois pas. Je m’enfuis pour aller rejoindre les autres. Il me faut continuer à mendier pour ne pas me prendre une rouste. Mais je n’ai pas le cœur à chanter. Je ne gagne rien.

Au retour de Daara, chacun apporte sa contribution au maitre. Puis c’est mon tour.

A ma réponse, il prend un bâton. Je lui demande où sont mes parents. Il rigole et crie : «  Tu es à moi. Tu m’appartiens. Tu n’as aucun droit. Tu me dois tout ».

Puis il s’élance vers moi en levant haut le bâton…

Je me colle contre le mur et j’esquive de justesse le bâton qui se brise. Je ne sais pas comment mais j’ai récupéré le bout cassé et me rue sur mon maitre sur son ventre. Estomaqué, il tombe à terre et hurle de douleur. Nous en profitons tous pour sortir de la pièce mais malheureusement, il avait fermé à clé de l’intérieur. Nous cherchons les clés sur notre agresseur. Après l’avoir trouvé, nous sortons et l’enfermons. Fuite de toutes parts à travers les rues. C’est chacun pour soi. Pour moi, je n’ai rien à perdre. Il fait sombre. Mes pas s’enfoncent de temps en temps le sable qui envahit les ruelles. Malgré mes sandales en plastiques, je sens les bouts de verres qui risquent parfois de me blesser. Enfin, j’arrive dans une grande avenue bordée de grands arbres. Une grande crainte me saisit. C’est là où dorment le jour les grands vampires. J’en voie se déployer par milliers et s’envoler vers le ciel. Je recommence à courir. J’arrive devant la gare, un grand bâtiment défraichi marrons et blancs. Grâce à quelques billets que j’avais récupérés sur mon maitre évanoui, je pus m’acheter trois sachets d’eau et des fruits de baobabs. Mon cœur bat très vite. Je décide d’aller à la capitale. Dakar, je crois. J’ai quand même eu de la chance d’avoir un père qui connaissait bien son pays. Parait que c’est rare. Je décide de prendre de suivre le chemin de fer, en ayant pris le soin de demander la direction de Dakar.

Je n’ai surpris personne. J’ai 12 ans mais je donne 15 ans. Malgré la fatigue, je marche au rythme de chaque ballast. Je préfère éviter les cailloux. Il y a heureusement la lune qui accompagne ma route. J’aperçois de temps en temps des silhouettes traverser. Une certaine frousse me saisit par moments mais je garde mon calme. J’entends des bruits stridents. Des grillons, me disait souvent ma mère.

Mes jambes commencent à me peser et mes yeux se ferment. A ce moment-là, je m’apprête à traverser une grande route avec sur le côté, une maison en béton abandonnée. Je m’y réfugie pour dormir. Je trouve un gros morceau de carton qui va me servir de couverture. Je commençais à avoir froid.

La nuit passé, je me réveille lourdement. Je prends conscience vraiment que je suis libre. Une grande joie m’envahit. Je me débarrasse du carton et sort de la maison. Je me retrouve face à un grand gaillard bizarrement habillé, aux cheveux longs tressés. Il a un pendentif à l’effigie de Cheikh Bamba. En me voyant, il me fit un grand sourire et me dit : «  Allah est grand ».

Il s’appelle Moussa Fall. Il m’invite à le suivre pour chanter Allah et pour travailler avec lui. Je me dis que je n’ai rien à perdre. Puis il m’inspire confiance malgré la très mauvaise expérience avec mon ancien maitre. C’est ainsi qu’il me prend la main et nous marchons au bord de la route en direction de Dakar. Il avait un grand bâton pour l’aider à marcher, à cause d’une de ses jambes un peu tordue. Il me demande si je connais le Coran. Je le dis que je le connais mais ne le comprends pas. Il se met dans une douce colère pestant contre mon ancien « enseignant ». Et voilà, qu’il m’explique quelques sourates pour que je puisse les chanter et mieux me les imprégner surout l’ouverture de la prière :

(1). Bismi-l-lâhi-r-rahmâni-r-rahîm (2). Al-hamdu li-llâhi rabbi-l-câlamîn (3). Ar-râhmâni-r-rahîm (4). Maliki yawmi-d-dîn (5). ‘iyâka nacbudu wa iyâka nastacîn (6). ‘Ihdina-s-sirâta-l-mustaqîm (7). Sirâta-l-ladîna ancamta calayhim, gayri-l-magdubi calayhim, wa la-d-dâllîn. Ce qui veut dire en clair : (1). Au nom de Dieu, Le Tout Clément, Le Tout Miséricordieux. (2). Louange à Dieu, Seigneur des Mondes (3). Le Clément, Le Miséricordieux. (4). Maître du jour du Jugement. (5). C’est toi que nous adorons, de Toi seul implorons le secours. (6). Guide-nous dans le droit chemin. (7). Chemin de ceux que Tu as comblé de bienfaits, non de ceux que Tu réprouves, ni des égarés. [1]

C’est étrange mais ça me fait un bien fou de comprendre.

En arrivant à Pout, Moussa mendie en louant Dieu. Il reçoit quelques sachets d’eau et des mangues. Il en partage avec moi. Un pur délice. Enfin, un car rapide jaune et bleu arrive au loin. Nous y montons direction Tiaroye sur mer, dans la banlieue de Dakar. Pourquoi ? Parce que mon nouveau maitre veut aller voir son frère Thiaka pour le remettre sur le droit chemin d’Allah.

Malgré que nous soyons bien serrés dans le car rapide, Moussa me raconte pleins d’histoires. Je sens le plancher un peu pourri. Je regarde et j’aperçois à travers des fissures la route se défiler.

Après un certain de temps, nous descendons du car au bord d’une grosse route pleins de voitures, de taxis jaunes, de gros camions. Nous peinons à traverser pour ensuite entrer dans les rues de Tiaroye.

Nous déambulons assez longtemps dans les ruelles ensablés, puis sur des grands espaces remplis de déchets. Enfin, Moussa me laisse au coin d’une rue. Il veut aller voir son frère seul. Cela peut être dangereux. Un peu surpris, je le vois s’éloigner. Il arrive devant un grand portail rouillé. Il frappe. J’entends Moussa appeler son frère. Silence. Je le vois entrer. Des cris. Silence. Plus rien. Une femme pleure. Je longe le mur pour essayer de voir à travers les trous. C’est ainsi que j’aperçois une petite cour intérieur, à moitié remplie de briques. Une personne creuse. Puis je vois un corps. Moussa. Une grande peur m’envahit. Je m’enfuis. J’arrive au bord d’une immense flaque d’eau, à perte de vue. Vertige. Des larmes m’envahissent. A ma droite, au loin, je vois des grandes maisons. C’est sûrement Dakar. Mon coeur bat à cent à l’heure. Pour avoir moins peur, je murmure ce que m’a appris Moussa.

Plusieurs gars courent torse nu. Mais où vont-ils ? Des immenses pirogues aux multiples couleurs me barrent le passage. Je les contourne. Puis bien plus loin, j’arrive vers une plage bien propre, avec des espèces de case sans murs. Quelque m’appelle : «  Hé petit ». C’est un vieux toubab avec un ventre énorme. Il a une grosse bouteille de bière à la main. Il me regarde  bizarrement avec un sourire qui me fait peur.

J’aurai dû fuir, mais je n’ai pas pu. Je me suis fait piéger. Il voulait m’offrir à manger. J’avais trop faim pour dire non. Il voulait me donner des nouveaux vêtements. Je ne pouvais pas refuser. Mon tee-shirt est vraiment usé. Il m’a emmené dans sa maison, puis m’a emmené dans une pièce avec une petite fenêtre avec des barreaux. Puis il m’a poussé et fermé la porte à clé. Je me retrouve donc face à des murs, un matelas où se trouve déjà quelqu’un. Sur une chaise, se trouve des vêtements neufs qui me sont destinés. Un seau d’eau qui sent bizarre. Je ne me laisserai pas faire. Allongé sur le matelas, c’est un garçon plus jeune que moi, comme complètement fatigué. Il me dit s’appeler Abdou. J’entends des pas. Je n’hésite pas. Je prends la chaise et m’élance contre le blanc quand il entre. Surpris, il recule et se cogne. J’en profite pour lui asséner un énorme coup de chaise dans les couilles puis sur la tête. Avant de partir, je vais chercher Abdou. Je ne veux pas le laisser là. Malgré sa faiblesse, nous quittons la maison. La nuit est déjà tombée. On ne voit presque plus rien. Abdou m’indique le chemin pour aller chez son oncle. Nous trottinons sans s’arrêter. Nous suons. Nous nous essoufflons. Une grosse colère monte en moi. Je veux que nous nous en sortions. Je repense à Moussa, bien que je l’ai peu connu. Il m’a appris la persévérance et de toujours croire. Et surtout remercier Allah malgré tout. J’y crois.
Nous arrivons chez son oncle. C’est sa tante qui nous accueille en hurlant. Elle prend vite Abdou dans ses bras pour aller le laver. Son oncle est arrivé par la suite et j’ai dû lui expliqué ce qui s’était passé. Il est furieux. Il part chercher ses voisins pour préparer une expédition punitive. La tante est revenue me voir et m’invite à manger puis à aller dormir dans la pièce où se trouve Abdou. J’entends des clameurs. Je suis très tendu malgré ma grosse fatigue. Que vont-ils faire au toubab ?
Mes yeux se ferment. Des images dans la tête. Je suis encore en vie. Je revois le visage de mes parents, mon oncle que j’avais croisé. J’aurai du le croire et partir avec lui. Moussa. Puis l’affreux blanc qui voulait jouer avec moi.
Après une nuit difficile, nous prenons un petit-déjeuner avec du gros pain et de la pâte à tartiner au chocolat plein d’huile. L’oncle d’Abdou m’emmène ensuite dans Dakar dans sa vieille voiture. Les routes sont défoncés avant d’arrivés à la grosse route. J’ai rarement vu autant de voitures, de magasins, de grandes maisons. Nous arrivons devant une maison envahie par des grosses fleurs rouges. Une pancarte trône sur le portail : « Association Terre des enfants ». C’est un certain Célestin qui m’accueille. L’oncle lui explique la situation puis il me laisse en me disant que je suis entre de bonnes mains. Célestin s’agenouille et prend le temps de discuter avec moi. Il m’explique qu’ici, je peux rester ou m’en aller et revenir. C’est à moi de voir.

Deux ans ont passé. Célestin m’a beaucoup aidé à lire, à écrire, et surtout m’a encouragé à servir de mes mains. Il avait senti en moi que j’étais un bricoleur. C’est vrai, je suis très débrouillard maintenant. Je peux réparer n’importe quelle mobylette, une voiture. Puis beaucoup de patience car certains du centre deviennent violents. Célestin est éducateur et n’hésite pas à mettre le cadre, avec une douce fermeté. Il ne remet jamais en cause notre personne. Juste l’acte. Il ne sanctionne jamais de manière disproportionnée. Nous dormons sur des matelas de mousse dans une grande pièce. Il y a un petit cabanon où l’on pouvait prendre sa douche. Enfin, une douche avec un grand seau d’eau et un gros verre pour s’asperger. Nous avions tous un rôle bien spécifique dans le centre. Dès qu’un plus jeune arrivait, un des ainés devenait son parrain. Une fois par semaine, nous nous réunissons pour faire le point. Il n’y pas de tabous. Et ça c’est génial ! Une grande partie d’entre nous viennent de la brousse. Kédougou, Koungheul, Kolda, Vélingara, Matam, Mbao et ainsi de suite.
C’est ainsi qu’un jour, Célestin nous emmène sur l’ile de Gorée. C’est une énorme expédition pour nous. La plupart ne sont jamais allé sur l’eau et avaient la trouille de se noyer. Je suis excité. Nous visitons le fort d’Estrées avec ses énormes canons. J’ai donc appris que nos ancêtres ont été mis en esclavage et ont été envoyé aux Amériques. Nous allons à la maison des esclaves, grande maison rouge ocre. Une cour nous accueille avec deux escaliers courbés. Comme deux bras qui voulaient nous prendre. Une angoisse monte en moi. Respiration lente. Puis un conservateur nommé Joseph, nous fait un grand discours. Je suis passionnée. Nous arpentons des couloirs sombres pour voir des cellules et enfin la porte sans retour. Des larmes me viennent quand je vois les vagues mordre les rochers noirs. Je ne sais pas pourquoi je suis ému.
Bref, nous revenons au port et je vois au loin un gros camion qui a du mal à démarrer. Je demande à Célestin si je peux aller leur donner un coup de main. « Pas de soucis, tu nous rejoins au centre ».
Je cours au camion et je leur propose ce que je sais faire. Ils sont deux gars à essayer de se débattre avec le moteur. Ils acceptent. Je me mets au travail. Le temps passe et la nuit tombe. Il me reste encore à faire une manipulation délicate. Je demande de faire démarrer le camion. Un énorme vrombissement. Enorme satisfaction. Ils m’invitent à prendre le thé.
Ils insistent pour que je reste avec eux. Je refuse poliment. Je viens de me rendre compte que je suis seul avec eux. Personne aux alentours. Mauvais pressentiment. Je me lève et tout de suite, l’un des gars me prend le bras pour le mettre derrière mon dos. Puis il met sa main pleine de cambouis sur ma bouche pour que j’évite d’hurler. J’essaye de me débattre, rien à faire. L’autre me bâillonne avec un chiffon et me ficelle les mains. Ils m’emmènent derrière le camion et me fond entrer dans la grande boite. Et à l’intérieur, il y avait une autre boite avec une porte. Ils me mettent dedans. Ils m’enferment. Je ne suis pas seul. J’entends du bruit comme s’il l’on remplissait le camion. Nous sommes dans le noir complet. J’ai peur.
J’entends le moteur. Des vibrations énormes. Puis le camion démarre après nous avoir bien secoués.
Où allons-nous ?

J’ai mal partout. Je ne peux pas bouger même si l’on m’a déjà détaché des liens. Nous roulons depuis… je ne sais pas. Cela me semble une éternité. Sur le plancher, il y a des petits trous qui laissent passer de l’air, pollué surtout. Puis nous apercevons aussi de la lumière par moments. Je dis, nous, parce nous sommes six. Nous sommes recroquevillés et calfeutrés. Si l’un bouge, nous bougeons tous. Il fait très humide. Personne ne parle. Je ressens une grosse peur. Une énorme angoisse.
Pour la première fois après un très long moment, une petite fenêtre s’ouvre. C’est l’un de mes ravisseurs. Il nous envoie des petits sachets d’eau. On se précipite dessus. Cela me fait un bien fou malgré mes douleurs. Des larmes montent en moi. J’ai du mal à saisir ce qui m’arrive. Puis du fond de ma mémoire, je repense à Moussa puis Célestin. Une prière monte en moi vers Allah. Je chantonne. Les autres me suivent. Nos psalmodies résonnent dans notre petite boite malgré le bruit du moteur.
Epuisé, je m’endors.

Grand choc. Nous sommes secoués et nous nous retrouvons les uns sur les autres. Des grands cris.
Un coin de notre plancher s’ouvre. Une tête surgit. En me voyant, il m’appelle à venir. Acrobaties. Je touche enfin le bitume sous le camion. Je passe à peine à quatre pattes. Enfin, je me lève et je suis ébloui par le soleil rasant. Nous sommes en plein désert. On me pousse vers l’avant du camion. Le moteur fume. C’est mal barré. On m’emmène un gros sac en plastique pleins de pièces détachés. Je suis tétanisé. Puis j’entends un cri : « Dépêche-toi de réparer ». Je me retourne et je vois qu’on me menace avec une arme. Je ne pas comment mais je réagis. Une force en moi me booste pour regarder le moteur. Il me dise d’y aller. Mais je vais me bruler. Ils s’en foutent sinon ils me brisent une jambe. Je me rends compte que je suis leur survie. Donc je joue aussi ma survie. J’ai trouvé le nœud du problème. Heureusement, ils ont la pièce en stock dans le sac pourri. Je répare en me brulant atrocement. Mes mains tremblent. Intense réparation. Je dégouline. Après avoir fini, ils arrivent à démarrer. Ils me forcent à courir pour rejoindre les autres dans le camion. En me voyant arrivé, mes frères prisonniers me félicitent. En fait, j’apprends par la suite que ce sont des immigrants. Ils ont payé très chers pour aller en Europe. Et que grâce à moi, nous allons y arriver. Mais moi, je ne veux pas y aller. Je n’ai rien demandé. Je suis complètement épuisé. Ma tête tourne. Je n’en peux plus. Mes yeux se ferment.

Je me réveille allongé. J’aperçois des murs gris. J’aperçois une silhouette blanche. Je sens mes mains enveloppés dans quelque chose. Je me sens propre. Comme ça fait un bien fou même si je suis un peu dans les vapes. Une voix d’homme : « Le garçon a eu énormément de chance. Prenez bien soin de lui puis nous appellerons les douaniers pour qu’il soit interrogé. »

Tout se précise. Je suis à l’hôpital de Nouadhibou en Mauritanie. Je suis toujours au repos car trop faible pour qu’il me laisse repartir. Un policier est venu me voir. Il me raconte que ses collègues m’ont trouvé au bord de la route. Ils ont cru que j’étais mort car ils avaient vu au loin des silhouettes près d’un camion me jeter dans le sable. Comme ils étaient un convoi de trois voitures. Un groupe s’est chargé de poursuivre mes agresseurs et les arrêter. Puis un autre groupe m’a récupéré. J’avais un pouls très faible. Ils m’ont ramené d’urgence à Nouadhibou, pas loin de la frontière où l’on m’a recueilli. Le policier veut avoir des informations complémentaires. D’où je viens ? Qui suis-je ?
Je lui raconte tout avec une voix faible. Puis je lui demande des nouvelles des migrants. Il ne me répond pas.
Les jours passent sans que j’aie pu me lever. Je ne ressens pas de colère. Peut-être parce que je suis trop épuisé. Une folle envie de vivre me prend. J’ai survécu et je continuerai à vivre. Je repense à Célestin et Moussa. Je tiens le coup en priant, en souriant malgré tout au fond de mon cœur.
Chaleur sèche. Un vent de sable fouette la fenêtre. Je transpire. J’utilise une serviette pleine de couleurs pour m’essuyer.
Puis en fin d’après-midi. Je reçois une visite. C’est Célestin. Une grande joie m’envahit. Penché sur moi, je l’embrasse tout en pleurant. Son regard m’apaise et me rassure. Célestin, je le considère comme mon deuxième père. Il me raconte que tout le monde m’attend à Dakar, à l’association.
Enfin, nous partons dans son pick-up. Nous avons des provisions et de l’eau pour pouvoir voyager dans de bonnes conditions à travers le désert.
La route est très longue où l’on voit des rochers sculptés, des bancs de sable à l’infini, des champs de cailloux immense et parfois des arbres perdus. Nous faisons une pause de Chami pour prendre du thé.
Reprise du voyage. Nous traversons Nouakchott. Cela ressemble à certains quartiers de Dakar. Je ne me sens pas étranger.
Quelques heures après, nous prenons le bac à Rosso pour passer le fleuve Sénégal. Je commence à être excité. Nous longeons à peine ensuite le lac de Guiers pour s’arrêter à Louga pour y dormir. Il y a de gigantesques avenues vides. Célestin me raconte la folie des grandeurs d’un gouverneur de Louga.
Le lendemain, nous arrivons à Dakar. L’association m’accueille en faisant une grosse fête. Musique à fond avec du bon balakh. Danses effrénées de mes potes. Bissap à gogo, ainsi que du Coca et du Fanta à profusion. Et bien sûr, pleins de cacahuètes et grand plats tel que le mafé et le thiéboudiène. J’ai rarement vu autant de nourritures.
Je ne retenterai pas ce que j’ai vécu pour revivre une grande fête pareil. Mes frères me suffisent ainsi que mes prières à Allah.

FIN

Texte écrit en hommage au vrai Célestin, religieux décédé au Togo.

Etrange signalisation préoccupante

Le juge vient de l’appeler pour une enquête dans une famille.

Une maitresse a fait une signalisation préoccupante.

Karima prépare ses affaires et se projette déjà le type de situation.

Une famille avec trois enfants dont deux ont des comportements inquiétants.

Maigrichons et inactifs, très sages et bien fatigués, ils accusent un lourd retard scolaire.

L’éducatrice vient d’arriver devant un immeuble de trois étages. Elle sonne à l’interphone.

Elle a bien sur prévenu la mère de son arrivée. Pour ne pas trop brusquer.

En montant à l’étage, elle sent de bonnes odeurs. Rien à signaler.

Devant la porte, un  paillasson impeccable souhaite la bienvenue en couleurs.  

Elle sonne. Pas rapide. Une dame bien habillé lui ouvre, la fait entrer.

Une forte odeur de parfum le fouette. Tout est blanc. Très peu de décoration.

Karima lui fait part des préoccupations et voudrait s’entretenir avec elle.

Etrange pressentiment. Tout est propre et nickel. A part une tache rouge dans un coin.

Tout semble avoir été nettoyé à fond. Rien ne dépasse. Le salon ? Juste un canapé.

Pas de télévision, ni de jouets. Pas de livres ni de bibelots. Juste une photo de tortue.

Vraiment bizarre. La mère emmène Karima à la salle à manger. Pour prendre un verre.

Juste de l’eau, aimerait Karima. Mère droite, à l’aise malgré une parole sèche et rapide.

Elle appelle les enfants. Ils arrivent bien habillés, tout propres et souriants. Un peu exagéré.

Le regard de ces mômes l’interpelle. Elle ne dit rien. Elle apprend qu’ils ne vont qu’à l’aquarium.

Les parcs sont infestés de microbes ainsi que les centres de loisirs. L’école ? C’est un moindre mal.

Coup de téléphone. La mère part dans l’autre pièce. Puis une scène étrange. L’ainé fronce les sourcils. Tout en silence, il lève rapidement son tee-shirt. Des marques rouges. Des bleus.

Karima sent une colère monter en elle. Puis elle croit voir passer une souris verte.

Puis sur les murs, elle semble voir des cadres de photos mise à l’envers. Recouvert de tissus blancs.

La mère revient et s’excuse. Elle tape des mains et les enfants s’en vont en silence, droit.

Karima souhaite voir les chambres des enfants. La mère refuse. Karima la rassure, maladroitement.

Qu’une chambre pour les trois enfants. Juste trois matelats par terre et un meuble pour les vétements. Aucun jouet. Puis elle aperçoit, coincé vers un placard, un bout de ficelle en caoutchouc.

Karima retient son souffle. La mère réagit en la faisant sortir. Claquement de la porte.

L’éducatrice, bouleversé, téléphone au juge. Un placement des enfants est nécessaire

A la suite d’une enquête encore plus approfondit. Très fort soupçon de maltraitance.

Karima essaie de se calmer. Puis va à son instituion pour parler à une de ses collègues.

Vite, débriefer. Faire le point. Accepter son impuissance immédiate. La procédure est enclenchée.

Démission d’une mère?

Penchée à la fenêtre, elle voit ses fils errer dans la rue.

Derrière elle,  son dernier de 3 ans regarder la télévision, presque endormi.

Il est 21 heures. Son mari traine encore dans un bar du coin.

Mécaniquement, elle s’en va à la cuisine pour ranger, faire la vaisselle.

Elle n’oublie pas de mettre une assiette pleine pour son mari nocturne.

Surtout ne pas oublier. Elle respire pour oublier ses bleus au dos.

Dehors, on ne remarque rien sur ce qu’elle vit. Elle est voilée.

C’est sa protection envers sa vie intime.

Une barrière contre les regards insistants des barbus.

Elle aperçoit sur la table des liasses de factures impayées.

Son mari est au chômage. Les gens ne veulent pas d’un bronzé.

Puis il a un visage qui fait peur, avec une grande barbe.

Parfois elle emmène un de ses fils chez l’orthophoniste.

A quoi bon puisqu’il est en échec scolaire ? Un bon à rien.

Personne ne l’écoute. A part ses copines à propos du pays.

Elle ne sort pas souvent pour éviter les humiliations.

Honte de ne pas se faire comprendre. Honte de ne pas comprendre.

Des enfants ? Elle en a six dont les deux ainés tournent mal.

Elle essaie de les raisonner mais son mari les encourage

Pour se venger contre la société qui ne veut pas de lui.

Et si son mari la surprend en train de raisonner les enfants.

Elle reçoit des marrons, bien chauds et soyeux. Pas de traces.

Pas assez mal pour aller à l’hôpital. Elle voudrait bien

Mais sa religion l’interdit. Elle se sent prisonnière.

Comment être regardé autrement ? Comment s’exprimer

Sans se faire passer par une menteuse ? Elle doit mentir hélas

Pour ne pas se faire exclure de la famille et être à la rue.

Engrenage. Perdue. Elle entend qu’elle serait une mère qui démissionne.

Une démission forcée oui ! Quand l’entourage ne donne pas les outils appropriés,

Comment agir en toute conscience et liberté ? Un  va et vient de pensées «  interdites ».

 

Comment construire des ponts entre les différentes cultures, les différentes modes de vie ?

Comment donner la possibilité aux parents, aux mères, aux pères d’être reconnu par ce qu’ils sont.

Je souhaite un bon courage à tous les travailleurs sociaux qui accompagnent ces personnes-là se trouvant dans des situations très complexes. 

Je ne doute pas que mon histoire peut faire rebondir mais elle peut être hélas vraie. Je me suis inspiré d’un livre : «  J’ai enlevé le voile, au péril de ma vie », et à partir de témoignages d’orthophonistes qui travaillent auprès des personnes en précarité sociale.