Commençons par le début.
En l’an 2000, j’ai eu mon bac littéraire option arts plastiques au rattrapage. Ensuite, je souhaitais être professeur pour enfants sourds. Pour cela, il me fallait un bac+3. Donc j’ai choisi la géographie pour mes trois premières d’années d’études à l’université d’Avignon.
Lors de ma première année d’études, j’ai découvert la cartothèque avec des étudiants qui le géraient à côté de leurs études. Cela me passionnait et j’ai postulé pour y travailler en septembre 2001 lors de ma deuxième année de Deug Géographie. (J’ai dû vérifier mes bulletins de salaire pour les dates).
La Carthotèque était une petite salle rectangulaire, avec de grands meubles à tiroirs gigantesques pour les cartes. Un ordinateur se trouvait au fond de la salle pour gérer les fonds et les prêts. Rien à voir avec les ordinateurs d’aujourd’hui !
Ce n’était pas un lieu bruyant et c’était pour moi l’idéal pour échanger avec mes collègues et les autres étudiants. Je me sentais dans mon élément. Je ne me lassais jamais des cartes IGN 1/50 000 que nous étudions le plus souvent, avec les profils topographiques (avec les courbes de niveaux). Nous avions aussi des cartes géologiques de France mais aussi des coins improbables en Afrique ou autres parties du monde entier. (Plutôt du Sahara ou Maghreb car nous avions un professeur passionné de désert). Un vrai travail visuel où je pouvais exploiter à fond mon sens de l’observation !
Ma surdité me jouait des tours surtout lors des cours. J’étais obligé de m’appuyer sur les notes de mes potes. Ou bien je devais vérifier les noms compliqués dans les livres en lien avec le sujet. Il y avait un sujet qui me détestait le plus : Les statistiques !
Contrairement au collège et au lycée, je me mettais au troisième rang pour passer incognito. Et je n’avais rien comme aide technique ! Je vous laisser imaginer l’état de mon oreille droite quand il s’allongeait pour tenter des capter les sons, et l’état de mon crâne qui devenait douloureux à chaque fin de journée. J’étais souvent sur le coté gauche de la salle en regardant le professeur puisque je n’entends que le coté droit !
Je me souviens d’un jeune professeur qui disait « Heu » tous les trois mots. Impossible de comprendre ! Un certain Rémi T…. ! S’il me lit, il se reconnaitra sans doute!
Puis un autre professeur avait une voix très grave, Mr G, et surtout il bougeait sans cesse et allait au fond de la classe. Je lui avait demandé plusieurs fois de rester devant mais rien n’y faisais. Je partais à l’intercours, à la pause et je me rattrapais sur les notes des autres collègues. Je me souviens que c’était la géographie urbaine!
Pour revenir à la cartothèque, ce fut le lieu aussi où j’ai crée une association avec une amie de promo. Ce fut étrange car au début, nous nous engueulions souvent. Je ne me souviens plus pourquoi. Et pourtant, nous partîmes ensemble avec deux autres personnes au Sénégal en juillet 2001 ! (Avant que je bosse à la Carthotèque, oui ! ). Et nous restons toujours en lien 20 ans après, même sporadiquement !
Lors de ces trois années, j’avais donc crée cette association, monté deux pièces de théâtre dont une partie en langue des signes : « Pierrot et le voleur de sourire » cela s’appelait !
Au final, j’ai eu ma Licence de Géographie du premier coup. Entre-temps, j’ai eu un entretien à Nantes en mars 2003 pour être élève-professeur CAPEJS. Mi-juillet 2003, J’ai eu un autre proposition à Bourg-la Reine que j’avais décliné pour Nantes. Et une semaine après, avec un changement de responsable pédagogique, fin juillet 2003, on me spécifiait que je n’allais que être professeur remplaçant.
La rentrée s’annonçait sportive loin de ma famille, dans une ville inconnue !
La suite dans le prochain article !
Vie professionnelle
Une vie (extra)-professionnelle d’un sourd
Il y a quelques jours, j’avais fait un petit sondage sur le nombre de métiers que j’avais pu effectuer depuis le bac en 2000. Certains m’ont demandé si l’enchainement de métiers était par choix ou si c’étaient des circonstances liées à ma surdité. C’est plus complexe que cela je dirai, il y a pleins de facteurs qui rentrent en compte : l’environnement de travail, le type de travail, le type de contrat, la fatigabilité. Pour certains métiers, ce fut juste des expériences ponctuelles et d’autres ce fut plus long.
Je saisis cette occasion pour vous en parler de mes différents expériences professionnelles. (Et même extra parce que là, aussi mes expériences bénévoles m’ont beaucoup enrichies).
Combien alors Vivien ?
Pour les métiers, donc payés, j’en ai fait 17 !
Je ferai un article pour chaque poste que j’ai effectué. (Et je parlerai de mes expériences bénévoles en parallèle).
Alors dans l’ordre chronologique :
– Carthotécaire
– Vendangeur
– Professeur pour enfants sourds
– Animateur BAFA
– Educateur spécialisé
– Animateur socio-culturel
– Directeur de camps
– Garde d’enfants
– Documentaliste
– Photographe
– Animateur péri-scolaire
– Aide à domicile
– Chauffeur pour personnes âgées
– Formateur
– Conférencier
– Ecrivain
– Animateur en EHPAD
Et tex expériences extra-professionnelles ?
– Président d’une association étudiante culturelle et humanitaire
– Metteur en scène
– Visiteur dans un EHPAD
– Délégué bénévole pour un réseau d’anciens volontaire DCC
– Coordinateur de classes découvertes
– Youtubeur
Mon objectif est d’apporter un éclairage positif malgré les difficultés que j’ai pu rencontrées, et surtout quels moyens j’ai pris pour mieux appréhender mon environnement sonore.
Alors, vous êtes prêt pour le prochain article, lundi prochain ?

Les résolutions (ou pas) d’un travailleur
Alors que l’année 2018 est déjà là, je me suis dit qu’une poignée de résolutions ne pourrait pas nous faire du mal .
Alors, commençons :
- Arrêter de se plaindre et de râler dans le vide. Autant y aller dans le vif et ne plus tourner autour du pot. (Si si râler un bon coup une fois pas semaine, non ?)
- Ne plus élever la voix même quand je suis épuisé, crevé, éreinté, agacé, très désappointé, très en colère.
- Aller aux réunions avec le sourire et se dire que j’ai une place à prendre, et ne plus fermer ma gueule.
- Savoir prendre du recul et savoir se remettre en cause en cas d’erreur. Les échecs font grandir, c’est bien connu.
- Ne pas prendre de haut ce qui débute dans le métier et être humble.
- Ne pas vouloir trucider le directeur ou un autre type de supérieur hiérarchique qui me sape le travail au quotidien et la relation avec une personne. (Même si c’est très tentant).
- Ne plus mélanger ma vie privée et ma vie professionnelle.
- Ne dire que des choses positives et n’avoir que des mots valorisants pour ceux que j’accompagne. (Pas simple, n’est-ce pas ?)
- Rester calme en toute chose et ne plus frapper involontairement du mobilier. (Volontairement, non ? Cela peut faire du bien. Quoique !)
- Garder le sourire même quand tu as envie de chialer ou d’hurler. (Un masque serait bien)
- Savoir dire stop quand c’est contraire à tes valeurs, tes principes.
- Savoir poser un vrai cadre.
- D’écouter la personne vraiment jusqu’au bout. (Même si c’est ch… pénible.)
- Ne plus faire de fautes d’orthographes dans les écrits.(Ou écrire en texto, au choix !)
- Savoir se poser quand rien ne va plus et oser se reposer
- Oser passer le relais quand ça ne va plus dans la gestion d’une crise, d’un conflit
- Ne jamais rester seul(e)e) face à une merde quelconque, minime soit-il !
- Accepter que je ne sois pas superman mais humain avec des limites
- Faire confiance à ses capacités et ses talents de créativité et d’adaptabilité
- Crier un bon coup dans une salle insonorisée pour éviter que des petits innocents s’en prennent pleins la tronche.
- Etre pragmatique, efficace et oser mettre ses mains dans le cambouis.
Mais en fait, nos choix dans nos décisions, comportements ne se décident pas quand une nouvelle année commence. C’est maintenant quand c’est nécessaire et pour la vie. Tout un apprentissage le travail avec l’autre, le travail en équipe etc…( Hasta la vista !)
Bon courage donc à tous les travailleurs de tout horizon
(Pour ceux qui l’ont remarqué, j’ai largement repris les points abordés lors d’un article l’année dernière pour les travailleurs sociaux) 🙂
T’entendre
Je vois que tu es épuisé.
Tu t’énerves pour des broutilles.
Tu oublies l’humain
En posant tes actes de soins.
Tu t’embrouilles dans tes pensées.
Tu es à la limite du burn-out.
Et pourtant tu adores ton métier.
Tu enchaines tes heures de garde.
Tu serres les dents.
Tu figes ton visage.
Jusqu’à quand tiendras-tu?
Je t’interpelle naïvement
Je fais un peu l’idiot.
Je dis que je vois ta fatigue.
Un miroir se brise.
Et les blagues fusent.
Des mots sont expulsés de ton coeur.
Un sourire irradie ton visage.
Ton regard commence à briller.
Tu te sens soulagé, écouté.
Je comprends et j’entends ton épuisement.
Je te soutiens. Nous sommes du même bord.
Nous travaillons avec l’humain.
Ensemble, même si on ne se reverra pas,
Nous pouvons avancer, soutenu
Dans notre combat de tous les jours
En n’essayant de ne pas s’oublier.
Je sais que ce n’est pas facile.
J’ai connu ces heures où l’on enchaine
Sans pouvoir souffler, ni respirer.
J’ai connu ces moments où l’on croise
Des personnes qui nous redonne courage.
Alors ne baisse pas les bras
Sachant que tu n’es pas seul,
Qu’il y aura toujours quelqu’un
Quelque part pour t’écouter,
Te comprendre et te soulager.
Rire encore un bon coup
Et alors, tu peux continuer à vivre ton boulot
Sans perdre ta tête, ton âme et ton cœur.
Courage à toi, médecin de passage.
Courage à toi collègue du social.
Courage à toi qui travailles pour l’homme.
Et même à ceux qui travaillent dans d’autres domaines.
Après un burn-out
Cher Flavio, mon ami
Lors de notre dernière discussion, je t’ai vu enthousiaste alors que tu as vécu un burn-out récemment. Je t’ai vu batailler dans ton boulot d’infirmier, te donner corps et âme pour les patients. Puis tu as dû lâcher prise, par épuisement total. Tu as dû prendre soin de toi. Tu as accepté de te laisser faire et de ne plus donner sans rien recevoir. Comme dit un certain auteur, tu as été touché par la maladie du don[1]. Tu t’es trop donné. Maintenant, tu acceptes de recevoir et l’intègre en ton for intérieur. D’un sentiment de sentir indigne de compliments, de remerciements, tu es passé dans une posture d’accueil.
Tu acceptes aussi de te reposer, te prendre soin de toi, de prendre ton temps. Ton temps pour retrouver l’essentiel et ce qui fait sens dans ta vie.
Tu sais que la plupart des gens qui ont un burn-out sont des personnes généreuses, idéalistes, exigeantes vis-à-vis d’eux-mêmes. Oui, tu es une belle personne et tu ne peux pas gâcher cette idée-là.
Tu ne peux pas gâcher tes talents, tes qualités et c’est pour cela que tu t’es lancé dans tes projets qui te tiennent à cœur comme la peinture. Tu essaies de trouver un juste équilibre. Tu fais de mini-projets à court terme pour avoir des satisfactions. Puis des grands projets qui te semblent réalisables, à la hauteur de tes appétences, de tes dons.
Tu souhaites te faire plaisir en faisant plaisir aux autres. Vivre ta passion avec tempérance et équilibre peut t’emmener loin dans la vie. Tu essaies de prendre du plaisir en faisant la cuisine, en marchant, en allant voir des amis, en jouant avec tes enfants, tes neveux et nièces.
Oui Flavio, tu fais bien de rêver. Tu fais bien aussi de regarder les choses positives puisque tu vas mieux. Tu remercies les personnes qui t’enrichissent même pour des broutilles. Tu as appris à être vrai et non plus à être gentil. Mais tu sais que c’est un entrainement de tous les jours. Tu restes malgré tout humain.
Tu saisis ta chance d’être entouré d’amis, de ta famille, de tes enfants. Tu ignores les personnes toxiques et tu te fais entourer des personnes bienveillantes. Il n’est plus bon de laisser prise aux pervers narcissiques, aux cyniques, aux aigries sur sa personne.
Tu as le droit de vivre. Tu as le droit de choisir ta vie. Tu as le droit d’agir et de décider par toi-même en connaissance de cause.
Continue mon cher ami à avoir des projets, à avoir des rêves à n’en plus finir, à recevoir ce qui te fais du bien, à les intégrer et à pouvoir les donner dans une juste mesure.
Je te dis tout ça parce que je l’ai vécu aussi. Oui, la vie vaut la peine d’être vécue malgré les tempêtes les plus dévastateurs.
[1]Burn-out, la maladie du don, Pascal Ide, Éd. Emmanuel, Quasar, 2015, 192 p.
Parcours de combattant d’un jeune professionnel sourd
(Histoire librement inspirée de fait réels)
Pika est sourd. Pika est un jeune professionnel. Il prend les transports en commun pour aller à son boulot. Mais là, ce jour-là, rien ne va. Son réveil vibrant n’a pas fonctionné et a du se lever à toute allure à cause de son retard. Le stress lui monte déjà aux tripes. Il arrive sur le quai du métro. L’affichage est en panne. Il y a une annonce vocale : « …. Sion, …o…… anne……i… ute. ». « Chuis pas dans la merde », se dit-il. Il demande à son voisin d’infortune. Il lui répond très rapidement. Rien compris. Il fait répéter mais la personne s’énerve et crie « T’es con ou quoi ? Faut attendre, c’est tout ». Sacré claque. Pika reste calme mais caaaalme malgré l’angoisse. Tant pis pour le métro.
Il prends une alternative. Le vélo’v. Il va à la borne. Mais le souci, c’est qu’il rate à chaque fois entre le signal sonore et le visuel pour décrocher le vélo. Donc il galère à le prendre. Enfin arrivé, il enfourche la bête métallique et manque de se faire faucher par une camionnette qu’il n’avait pas vu. Il était arriver un peu trop vite. Pika l’a entendu au dernier moment. Il a senti le rétroviseur de la camionnette frôler son épaule gauche. Mais tout va bien. Il est vivant. Le vent souffle dans ses aides auditives mais il reste vigilant. Il essaie de rester droit sur la chaussée en évitant les couillons qui s’arrêtent sur les bandes cyclables. Transpiration. Son appareil grésille. « Et m…. ». Il pédale à fond pour arriver à son boulot.
Rangement du vélo-v à destination. Badge qu’il essaye d’enclencher. Il doit sentir un déclic, petite vibration lui signalant que la porte s’est ouverte. Mais là, pas moyen. Il y a un souci. Un interphone s’impose pour avertir l’accueil. Il déteste ça. Biiiip. Une voix lointaine. Il comprend rien. « C’est Pika Toufair ». Une hôtesse d’accueil excédé ouvre et lui murmure des mots doux. Des mots doux, c’est pas vraiment ça. Elle marmonne et râle. Pika fait celui qui n’a rien entendu et c’est effectivement le cas.
Il s’installe à son poste devant un ordinateur. De la comptabilité. Un pur bonheur. Il prévient ses collègues qu’il est arrivé à travers une vitrine séparant les bureaux. Vive la visibilité où l’on peut éviter à toquer contre une porte opaque.
Bref, il se met au travail après avoir soigneusement séché son appareil. Coup de téléphone. « Pas aujourd’hui, pas branché », pense Pika. Le téléphone insiste. Il décroche et entend une voix forte et saccadée. Il comprend à peu près mais ça le fatigue beaucoup. Après 15 minutes de discussions autour des chiffres, il raccroche épuisé. Il se lève pour aller à la machine à café. Inclusion de sous dans l’avaleuse et hop, un verre d’expresso. Il saisit son breuvage et on l’appelle par derrière. « Pika ! ». Ce dernier sursaute et manque de renverser sa potion magique. Son collègue s’excuse et avait oublié que c’était une mauvaise idée de faire cela.
Échange d’informations puis un autre collègue passe ainsi qu’un troisième et s’ensuit une cacophonie, des rires et des mines sérieuses. « Youhou, je suis là. Vous pourriez faire attention, s’il vous plait ». «Rien d’important, Pika ». Puis ils s’en vont dans leurs bureaux. Pika reste planté, un peu énervé et même très désappointé. Dans quelle langue doivent-ils comprendre que n’importe quelle information est importante ? Elle permet d’inclure la personne dans son contexte et d’intégrer la personne dans le milieu. Sans informations, il devient hors hors-course, juste à essayer de boucher les trous, à recoller les morceaux. Et ça c’est épuisant. Pika demande parfois des explications par écrit mais cela met une éternité à venir. Comment s’investir dans un boulot où les échanges ne sont pas optimales, hein ?
En fin de journée, Pika part du boulot avec un gros mal de crâne. Il arrive au métro. Personne. Il va au guichet d’accueil. On lui répond que le métro est en panne jusqu’au lendemain. Il tilte d’un coup suite à une conversation entre ses collègues. Il avait entendu le mot métro mais n’a pas pu saisir les autres mots. Il envoie un texto à un des plus proches collaborateurs. Réponse : « Mais oui, Pika, on l’a dit quand t’étais là. T’écoute pas, c’est tout. A demain ». Zen, mais zeeeen. Mais Pika a envie de prendre un énorme bazooka et de faire exploser tout l’immeuble où se trouve l’entreprise. Cela ferait un sacré carnage. Mais cela ne résoudra rien, évidemment. Pika reprend le vélo-v et va pouvoir se défouler au foot en salle.