Chroniques d’un éducateur #10 Quand vient la nuit (conte)

Il était une fois… deux fois, plusieurs fois même, un évènement invisible de tous se produisait dans la chambre de Gaspard. Gaspard était un jeune homme tétraplégique et qui ne parlait pas. Il était fin et musclé, et son visage était doux, serein.
Il souriait au moindre présence d’un soignant ou d’un éducateur qui faisait de l’humour.
Chaque soir, quand il fut couché sur le ventre, sans drap selon ses habitudes, il écoutait au loin le couloir s’échapper les pas de la personne qui l’a mise au lit. Les lumières s’éteignaient à part une veilleuse rouge, signe d’une présence urgente si besoin. Il respirait tout doucement, paisible. Il fit un grand sourire, heureux du tour qu’il joue au monde.
Il ferma ses yeux, puis se redressa grâce à ses bras. Il s’assit et fit des abdos puis des étirements. Il prit la télécommande sur la table de nuit et alluma la télévision. Sans le son pour ne pas éveiller les soupçons.
Il savait que le veilleur ne passerait que dans 45 minutes lors de son tour.
Mais ce soir, il allait vivre un moment le plus magique qu’il soit. Beaucoup plus que les autres soirs.
Assez suffisant pour s’échapper dans son univers. Il s’envola vers la télévision puis fut aspiré.
Il atterrit au milieu d’une arène immense, plus grand que le Colisée, illuminée par des centaines de projecteurs.
Les gradins étaient remplis de gens de tout handicap.
Des sourds dansaiet au son de la musique.
Des aveugles envoyaient des boules de peinture au milieu de l’arêne.
Des paraplégiques qui fit la hola des milliers de fois.
Toute différence n’était pas un problème. Tout le monde fit la fête.
Gaspard, lui, c’était le chef d’orchestre de tout ce monde pour ce soir.
Au dessus de lui, un énorme écran lui indiquait le temps qui lui restait.
Mais le temps était infini pour lui. Chaque seconde durait une heure.
Il allait pouvoir en profiter au maximum et ce soir, c’était son heure de gloire.
Il avait son moment pour mettre sa passion à fond.
Des voix s’élèverent pendant qu’il lèvait sa main gauche.
Puis des tambours, des trompettes.
Une splendide harmonie remplit l’arêne et fit vibrer le sol.
Gaspard avait les larmes aux yeux. De joie. De jubilation.
Les minutes s’écoulaient délicieusement.
Puis vint le temps de partir.
Il salua, remercia en envoyant des baisers.
Silence. Tourbillon.
Il revint au lit, sur le ventre, les yeux fermés, le sourire aux lèvres.
Une porte s’ouvrit.
Le veilleur regardait discrètement et s’étonna toujours de voir Gaspard endormi, avec un visage lumineux.
Gaspard goûtait chaque nuit pour mieux vivre ses journées dans son fauteuil électrique.

FIN

Le prince endormi

Au bord de l’étang, un jeune prince s’était assoupi.
Un vent d’automne s’était levé et ensorcelé l’endormi.
Métamorphosé en canard, il somnolait sur l’eau.
Il ne se doutait de rien, ce doux et insconscient palôt.
Un chasseur passait par-là et le visait, un peu bourré.
Son fusil tremblait et son haleine était sulfurée.

Le chasseur tira dans le reflet du prince-canard.
Ce dernier se réveilla et s’en bouchât un coin.
Il paniquât et partit sans porter un regard
Sur son état pour aller dans un autre coin.
Sans réfléchir, il voulut crier « au-secours »
Mais son cancanement tonitruant alerta
Tous les renards et les fouines de l’Etat.
Bien mal au point face à cette invasion,
Sans volonté de force ni de persuasion
Il se réfugia sous la jupe d’une cavalière
Et trouva une solution bien hospitalière.
La jeune cavalière le prit sous ses ailes
Et lui fit un baiser sur son bec frêle.
Je vous laisse imaginer la suite.
De l’amour ou de la viande cuite.

Le compteur des contes

Kali,  un compteur des contes, passait sa vie à parcourir le monde. Il voulait savoir combien de contes il y en avait. Ce n’était pas une tâche facile parce que certains contes se ressemblaient avec une trame presque identique. Elles se différenciaient de par les coutumes, les couleurs, les climats des pays. Comment s’y retrouver ?

Il y avait des contes pour rêver.

Des contes pour avoir peur.

Des contes pour guérir ou pleurer.

Des contes pour se révolter.

Des contes pour faire réfléchir.

Des contes pour rire et sourire.

Des contes magiques peuplés de monstres et de gnomes.

Des contes surprenants avec des personnages pleins de pouvoirs ou remplis d’humanité.

Des contes où les animaux parlent, où les arbres dansent.

Cela faisait bien cinq ans qu’il sillonnait chaque recoin de la terre, pour écouter les sages au coin d’un feu dans la brousse béninoise ou bien auprès des chamans du fin fond de la Mongolie ou de l’Amazonie.

Un soir, sur un pont enjambant le Rhin, il s’affaissât de fatigue sur le parapet. Il portait un sac lourd d’histoires. Il le posa sur le sol pavé, usé par des milles et des millions de pas.

Des visages, des voix, des gestes se bousculaient dans ses souvenirs. Sa tête fourmillait et lui faisait mal à la tête. Il n’en pouvait plus.

Une voix s’élève des eaux tumultueuses du fleuve.

« Kali, remonte jusqu’à ma source, tu trouveras la réponse ».

Kali fut bercé par cette voix qui l’appellait par son prénom. La première fois depuis des années. Il alla poser son sac de contes dans une auberge pour le mettre en sécurité.

Puis munie de son simple bâton, il remonta le Rhin.

Il pleuvait des trombes d’eau depuis trois jours. Le niveau de l’eau montait à vue d’œil. Kali dut monter sur un arbre et attendre.

Un hélicoptère vient à sa rescousse mais il refusa de monter dans l’engin. Il voulait rester au bord du fleuve et continuer sa quête.

Le Rhin dévala furieusement à travers les collines, charriant troncs d’arbres et quelques voitures. Kali dut monter encore plus haut au sommet de l’arbre qui résistait à la crue.

Il pleuvait sans cesse et Kali commençait à sentir son ventre crier famine. Il dut boire l’eau de pluie pour apaiser la douleur.

Enfin, le matin du troisième jour, le ciel fut éclatant de bleu et une vue incroyable s’offrait au compteur des contes.

Le Rhin s’était étendu à perte de vue jusqu’au pied des montagnes, où émergeaient à peine quelques collines. Il voyait d’autres cours d’eau qui se confondaient avec le fleuve. Où devra-t-il aller ?

Quelle est la vraie source du Rhin ? N’ayant pas de carte avec lui, il pourrait se tromper et mettre des mois à la trouver. Est-ce que cela avait un sens pour lui ?

Soudain, l’arbre sur lequel il se trouvait se mit à tomber. Il sauta dans l’eau et essaya de remonter à la surface malgré le courant. Enfin, il s’agrippa à un tronc et reprit souffle.

Le courant l’emporta loin de la source. Il tira sur ses bras pour enfourcher le tronc.

Il se laissa porter par les eaux. Il comprit enfin que son obstination aurait pu l’amener à sa perte.

Une voix s’éleva et le réchauffa :

« Kali, tu comprends enfin que je n’ai pas qu’une source mais plusieurs sources de toutes sortes. C’est comme pour tes contes, elles sont si nombreuses qu’elles n’ont qu’un objectif : Donner un sens à votre vie. Votre vie est si complexe qu’on ne peut pas le résumer en une seule histoire. C’est pour cela qu’il y a autant d’histoires que de vies qui ont existé et existent sur terre. »

Un bateau à moteur vint à lui. Kali accepta de monter à bord.

C’est ainsi que le compteur des contes devient lui-même conteur.

Le conte du cri de bébé

Il était deux foies qui se concertaient pour intégrer le corps d’un petit bonhomme à naître. Le cœur, avec un ton sans émotion voulait presser la situation. C’est le cas de la vessie qui voulait faire sa petite place en attendant qu’un foie prenne sa place. Gonflés à peine, les poumons chuchotaient que l’heure n’était plus aux palabres. Une crise de foi était en cours. Le cerveau se mit à vibrer de colère et envoya des décharges. Les membres du petit bonhomme firent pleuvoir des coups contre la paroi maternelle. La rate riait jaune mais l’intestin le remit en place. Histoire de mieux digérer la situation. L’estomac en avait gros sur la patate. Il a dû abuser d’acides et il fut complètement shooté. L’œsophage essaya de contrôler la situation. La thyroïde envoyait pleins d’hormones pour décider et clore le problème. Le compte à rebours fut lancé et n’allait pas tarder à se mettre au rouge. Le cervelet émit des signaux d’alarme et les artères fonctionnaient à merveille, heureusement. L’information passait sans bouchon. Manquerait plus que ça. Que les canaux sanguins deviennent le périphérique de Paris aux heures de pointe.

Enfin, l’un des deux foies déclina et laissa sa place. Ce sont les reins qui ont pu calculer le coup de la diplomatie et de la séduction.

Et c’est ainsi que le petit bonhomme put sentir en lui une tempête se calmer malgré des douleurs insoutenables. Il poussa un grand cri de soulagement quand il émergea de son cocon de la neuvaine infernale.

Voilà pourquoi le bébé crie, à cause des histoires de pouvoirs entre les organes qui veulent avoir la meilleure place.