Suis-je un sourd chanceux ?

Je souhaitais réagir à une remarque lors des échanges de mercredi dernier, après la conférence « Au secours, j’ai un collègue sourd »:

On a l’impression que vous êtes l’exemple de la réussite de l’oralisme. Vous êtes l’exemple d’un oraliste réussi. […] Vous faites un peu figure de sourd chanceux qui a réussi. Les sourds sont évidemment tous différents.

Pour commencer, je peux dire que je suis chanceux d’avoir grandi dans un environnement familial bienveillant. Même si toute ma famille est entendante, j’ai pu m’épanouir, apprendre à parler, à lire et écrire.

Petite précision, je suis un sourd oralisant. Oraliste, cela fait un peu extrémiste ;-). Mes parents ont fait le choix de l’oral et je l’ai re-choisi par la suite car j’ai pris du plaisir à parler grâce au théâtre.

Puis la réussite, c’est grâce aux rencontres, aux opportunités que j’ai pu saisir. La chance est venue quand j’ai pu la provoquer. Et je ne cache pas que c’était difficile, laborieux par moments. Je ne crois pas à une réussite sans labeurs, surtout quand on a un handicap.

Pour ma part, j’ai vécu pas mal d’années en ignorant les difficultés de ma surdité en travaillant dans des milieux rudes, surtout quand j’étais éducateur spécialisé. Cela s’est payé cash.

La chance n’est pas là tout le temps. Elle reste blottie et peut ressurgir si on prends la peine de la regarder. Cette chance que nous avons la possibilité de déployer nos talents, nos valeurs, nos capacités de créer.

Comment augmenter notre chance de réussir ? c’est pouvoir fructifier nos expériences, prendre soin des relations et continuer à prendre de bonnes décisions qui nous semblent justes. Et surtout de profiter des opportunités et avoir de l’audace. Une de mes devises préférées : « Qui ne tente rien n’a rien ».

Et la chance se gagne aussi grâce à d’autres personnes, qui nous aiguillent, nous inspirent.

C’est comme ça que j’ai osé créer des pièces de théâtre en 2001 et 2002, des seuls sur scène en 2003 et 2009 (Spectacle Clown), osé partir au Sénégal pendant un an, osé exposé des photos et écrire des recueils de poèmes. C’est venu par vagues ces instants de créations.

Il y aura toujours des hauts et des bas, et parfois des sacrés creux.

Je vous souhaite de saisir cette chance, qui peut surgir n’importe quand et n’importe où.

 

 

Oh un sourd! Préjugés, quand tu nous tiens!

Oh j’ai rencontré un sourd.

Oui mais plus exactement. C’est bien vague un sourd. C’est comme si tu disais un français ou même pire un africain. Y a tellement de diversités.

C’est une personne sourde. Parce que c’est d’abord une personne. On ne résume pas son identité à sa surdité. Enfin, cela dépend pour certains. Ceux qui signent se disent partie d’une communauté sourde. J’avoue que cela m’hérisse le poil. C’est plutôt la communauté des sourds signants. Et encore, sans doute, chez les sourds signants, ceux qui utilisent, je précise la langue des signes, ne se reconnaissent pas dans cette communauté.

Hé non, tous les sourds ne signent pas. J’ai beaucoup de respect pour Emmanuel Laborie mais à travers la médiatisation de ses prises de position sur la LSF, j’ai l’impression que l’image des sourds se réduit à la LSF dans la société. Je sens que ça peut saigner sur ce que je vais dire mais les sourds, en grande partie, n’utilisent pas la LSF. Les sourds signants ne sont qu’une petite minorité. Et elle est à reconnaître bien sûr mais pas à prendre toute la place.

Je suis sourd oralisant. Ce n’est pas parque que je suis sourd que je dois signer. J’ai fait le choix (même si c’était le choix de mes parents au départ) de continuer à parler et à entendre grâce à mon appareil. J’ai malheureusement croisé des personnes, entendantes, qui étaient contre l’oralisme. Merci madame, j’oralise et je m’en sors très bien. En disant qu’elle était contre l’oralisme, ce n’est pas me reconnaître, ne pas reconnaitre ceux qui oralisent.

J’ai une chance énorme, je le sais, de pouvoir bien parler, d’avoir fait des études supérieurs. J’en connais même qui sont au ingénieur au CNRS, à l’Insee alors qu’ils sont plus sourds que moi.

Il existe plusieurs façons de comprendre les autres comme la lecture labiale.

Quand des personnes adultes deviennent sourdes, ils s’imaginent qu’ils devront apprendre la langue des signes. Cela ne sert à rien si dans leur entourage, personne ne la pratique. Elle peut passer par la lecture labiale sans que cela oblige l’autre personne à utiliser la LSF ou la LPC. ET oui, la Langue parlé Complété (LPC), voici un autre type de codes utilisé chez certains sourds.

Autre chose, un sourd n’est pas idiot. On imagine qu’un sourd est limité intellectuellement alors que c’est faux.. Imaginons que vous avez des notions d’anglais. Vous allez en Angleterre. Vous vous exprimez mal bien sur car vous ne connaissez pas bien la grammaire, les tournures de phrases un peu complexes. Ils ne vont pas vous prendre pour un idiot. Non, vous êtes un étranger.

Pour les sourds, c’est la même chose. C’est un étranger dans la langue de son propre pays, un comble ! Nous devons faire un apprentissage plus poussé de la langue pour saisir les nuances, pour faire des liens. Pour pouvoir communiquer de la meilleure des façons et se comprendre.

Donnons vraiment tous les moyens possibles pour que chaque personne sourde ait accès à la lecture, à l’écriture, et vous verrez que cette personne pourra exploiter une grande partie de ses potentialités. C’est la lecture et l’écriture qui m’a beaucoup aidé pendant mon enfance.

J’oubliais. Tu découvres que je suis sourd. Nous ne sommes pas obligés d’aborder la surdité, n’est-ce pas ? J’ai des passions, des envies, des rêves. Si tu veux bien, on peut en parler un peu plus tard! 😉

C’est comme rencontrer une personne avec un autre type de handicap. Il n’est pas son handicap!

Alors, tu as rencontré un sourd ? J’ai pas bien entendu!