J’ai été harcelé au collège.

J’étais le seul sourd de l’école. Je me mettais au premier rang pour mieux entendre les professeurs. J’étais plus à l’aise avec les adultes que avec mes pairs.

J’ai eu droit à des sifflements, des appels derrière moi. Quand je me retournai, plus personne.
J’ai eu droit à des jets de bouts de gomme, des bouts de papiers et même des cailloux dans la cour de récréation.
On me traitait de fayot, et j’avais un surnom bizarre : « Le lapin au citron ». Sans doute d’autres quolibets mais je ne les comprenais pas.

j’avais la constante impression qu’on se « moque » de moi.
Qu’on parlait dans mon dos.
Qu’on était sympa en face mais que ce n’était jamais sincère.
Etant sourd, tout était exacerbé.

Je détestais la récréation, surtout le matin. Je me sentais très seul. Les bruits, les cris m’angoissaient.
L’après-midi, la bibliothèque était ouvert. Je m’y réfugiais. Je lisais pleins de BD , surtout la série des Jeannette Pointu (qui connait ? 😅). J’empruntais souvent aussi des livres d’aventures et de géographie. J’étais passionné par les capitales du monde. Les connaissais toutes.

Plusieurs fois, j’avais mis les moyens pour ne plus aller à l’école comme :
– Prendre des médicaments (je lisais les boites pour éviter des prendre les plus nocives)
– Manger du chocolat avec de la pommade
– Ouvrir grand la fenêtre quand il faisait très froid
– Mettre de l’acide dans mon oreille gauche (celui qui ne fonctionne pas, je n’étais pas fou, j’y tenais à l’autre)
– Boire jusqu’à saturation
Bref, je voulais être malade et qu’on prenne soin de moi, surtout à l’hôpital. Je n’ai jamais été hospitalisé avec tout ça. On disait que j’étais hypocondriaque et que mes maux de tête, c’était psychosomatique.

Je voulais rester en vie à tout prix. Plusieurs fois, j’étais tenté de tomber dans l’escalier en pierre de l’école mais je savais que je pouvais mourir. Non, j’avais une force en moi qui m’évitait cela. Je savais que la vie en valait le coup, mais ailleurs !

Je me sentais soutenu malgré tout par quelques professeurs dont le prof de sport. Je ne me souviens plus comment ça s’est résolu. Je n’en garde pas rancune mais blessé bien sûr. La notion de l’amitié était toujours difficile, j’étais facilement manipulable car naïf et trop gentil.

J’écrivais beaucoup aussi. La lecture et l’écriture m’ont sauvé.
Cette expérience m’a apporté une énorme résilience
Et en même temps, une brèche dans l’estime de soi.
Le syndrome de l’imposteur jaillissait à fond.
J’avais terriblement honte.

Bref, lors de mes sensibilisations devant des jeunes, j’évoque souvent la question du harcèlement scolaire. Je leur parle de la nécessité d’en parler.

Hélas, le harcèlement existe toujours.
Tout type de harcèlement est interdit par la loi.

Continuons à semer l’écoute, la bienveillance, la prévention, la prise en compte des besoins de chacun.

Et toi ?

Un sourd silencieux – 6 – Harcèlement

Le voilà projeté dans ses souvenirs les plus désagréables qu’ils soient. Son rêve devenait du n’importe quoi qui allait fouiller dans sa mémoire, glanant au passage des incohérences, des absurdités. Mais là, il fut confronté à un cruel cauchemar. Il était là, assis sur un petit muret face à des élèves qui jouaient, l’ignoraient. Un profond sentiment de solitude l’envahissait. Il entendait juste du brouhaha. Des rires. Des cris. De l’autre côté de la cour caillouteuse, au pied d’un grand platane majestueux, errait un enfant étrange. Seul, lui aussi. Dans son monde. Il tournait autour de l’arbre en sursautant par moment et jouait avec ses mains.

Un sentiment de remords. Pourquoi ? Il s’en souvenait. Il l’avait rejeté lui aussi, s’isolant encore plus car il ne savait pas communiquer avec lui. Et pourtant, là, dans son rêve, il voulait faire autrement que ce qu’il avait vécu. Il se leva et fendit la meute de petits ados de 10 ans à 13 ans. Il entendit des sifflements. On s’amusait à lui siffler pour qu’il se retournât sans savoir d’où ça venait. Tristan ignora. Il alla à la rencontre de Corentin. L’enfant de la lune. Son cœur battait. Il appréhendait.

Essai d’échanges. Avec des gestes simples. Corentin souriait avec ses yeux. Tristan le comprit même si son visage restait neutre. Sonnerie de fin de récré. Tout le monde se mit en rang. Il ne voulait pas aller. Le rang était pour lui un calvaire. Des sifflements seraient de retour. On l’appellerait et se retournerait en voyant les autres regarder ailleurs ou rire.

Soudain, il se retrouva directement dans la classe devant le tableau noir, face aux élèves. Que devait-il se passer ? Le prof le regardait sévèrement. Qu’avait-il fait ? Il vit des jeunes filles pouffer. Des garçons le regarder de façon mesquin. Le prof lui reprochait de ne pas écouter et de rêver. Tristan respira un grand coup. Une réalité du passé dans un rêve. Et s’il disait ce qu’il aurait voulu tant dire ? Et s’il voulut s’expliquer tout simplement en expliquant ce qu’était la surdité ? En quoi ça impliquait ?

Et c’est ainsi que Tristan se lança dans une sensibilisation. Tous les visages changèrent. Personne ne rigolait. Le prof fut surpris.

La classe s’illuminait. Les murs disparurent. Les élèves disparaissaient au fur et à mesure dans des volées d’oiseaux multicolores. Les pupitres fondaient en sable fin. Le prof s’était statufié en marbre noir et blanc. Le tableau était devenu un écran de télévision où il voyait du sous-titrage, une personne signer.

Soudain, Tristan se retrouva sur son canapé jaune.

Fin du rêve ?

 

Notes de l’auteur :

. Texte en écoutant la bande-originale du film « Goodbye Lénine »

. Voir témoignage sur le harcèlement scolaire avec MélanieDeaf : Harcelée, parce que sourde! 

Se moquer n’est pas jouer – Témoignage

En ce moment, circule la campagne contre le harcèlement scolaire. J’y suis sensible. très sensible même puisque je l’ai vécu au collège.

Comment cela se passait? Tout se jouait pas mal sur ma surdité. Dans la cour de récréation, on me sifflait et je ne savais jamais qui sifflait. Alors je cherchais le siffleur, en vain et je voyais des visages se marrer. Puis souvent ils parlaient à voix basse quand je passais, en me regardant d’un air amusé. Ils jouaient à me parler sans émettre de sons. J’avais envie de leur dire: « je sais que je suis sourd, merci ». Mais à quoi bon? Pour, j’étais niais et naïf, trop honnête même. J’en jouais pour leur faire plaisir, mais ça me rendait malade. Et tout ça, toutes les semaines.

Il y avait une période où je ne voulais plus aller à l’école et j’essayais de trouver des moyens de tomber malade. (Prise de médicaments mais je vérifiais toujours que ça n’était jamais mortel).

Je me souviens des moments où je voulais me jeter dans l’escalier de béton du collège. Mais à chaque fois, ma petite voix me disait que je pouvais en mourir. Et là, je voulais vivre malgré tout. Vivre mais loin des cons qui ne voulait que s’amuser à se moquer. J’étais le seul sourd du collège, à l’époque, selon mes souvenirs. Je ne m’étais jamais battu. Sauf une fois, en troisième. Mon prof principal m’avait enfin félicité. J’avais préféré quand même que ça se règle autrement.

Les conséquences de cette période dans vie? L’intolérance à la moquerie et aux voix basses, aux apartés.

Mais tout cela ne m’avait jamais empêcher de rêver (j’avais et ait toujours une imagination débordante), de m’appuyer sur des adultes en qui j’avais confiance et d’avoir des modèles comme des héros de romans, des héros de bande-dessinées. J’ai beaucoup écrit aussi, ce qui m’a permis aussi d’avoir des projets fous et de les réaliser! 😉

C’était il y a 20 ans. Je me dis que j’avais de la chance sans les smartphones. Aujourd’hui, tout est décuplé et la connerie s’amplifie sans aucune mesure.

Si je revoyais ceux qui me « martyrisaient », je voudrais leur poser une question: « A quoi ça t’a servi de te moquer, de jouer de moi? »

Non, se moquer n’est pas jouer et dans tous les domaines de la vie.