Journal à mon père inconnu ( Version intégrale)

Dimanche 15 juin.

 Enfin, je t’écris Papa. Je m’appelle Rami si tu te souviens. Mon nom de famille ? Je ne sais pas. Maman s’est mariée quatre fois. Tu as disparu de la nature avant que je naisse, il y a 14 ans. Je n’ai jamais entendu parler de toi. Si je pose la moindre question à ma mère, elle me fout une torgnole. Alors, je ne dis rien. Je suis content de prendre le temps de t’écrire sur un petit cahier que j’ai reçu d’un de mes profs. Il fait sombre dans le salon. Tout le monde dort sur les matelas en mousse. Je suis sur le rebord de la fenêtre et je suis éclairée grâce au projecteur qui éclaire toute la rue. Nous habitons dans un immense immeuble. J’ai une superbe vue sur des usines qui crachent du feu, jour et nuit. Aujourd’hui, je me suis allé balader avec mon petit frère Loufi dans un terrain vague. Nous avons joué avec des morceaux de ferrailles, des pneus où l’on s’amuse à sauter dessus. C’était géant. Loufi a cassé des vitres d’une maison abandonnée à l’aide de briques. On s’est fait engueulé et nous avons beaucoup ri.

Mais ce soir, j’écris car j’ai mal au ventre et en haut de mes jambes. Cela dure depuis des jours mais je ne rien à ma mère. Elle te traite souvent d’hypocondriaque. Je ne sais pas vraiment ce que ça veut dire mais j’imagine. Pour elle, c’est de la comédie pour ne pas aller à l’école. De toute façon, l’école, je n’arrive pas à suivre. Je suis trop fatigué. Je suis souvent fatigué et mes nuits sont agités. C’est-à-dire que je fais régulièrement des cauchemars. Parfois, j’ai une boule qui me reste dans la gorge. Je parle très peu et pourtant, je ne me débrouille pas trop mal à l’écrit. La preuve, je prends du plaisir.

Papa, j’essaie de t’imaginer. Tu dois être noir. Puisque Maman est blanche et moi, je suis brun. Loufi est blond  puisque son papa était suédois, le troisième de maman.

J’imagine que t’as dû être un héros. Comme Maman serait tellement jalouse de toi qu’elle voudrait complètement t’oublier. Enfin, je voudrais rêver que tu sois un homme énorme, puissant. T’imaginer me permet de rester debout. Ma mère ne s’occupe pas vraiment de moi. Je suis juste bon à l’accompagner au marché et porter les lourds sacs, à faire le ménage et à m’occuper de Loufi.

Je vais te laisser Papa. Je m’endors. Demain matin, Maman doit nous emmener chez le médecin pour mon petit frère. J’en aurai bien besoin aussi.

Mardi 17 juin

                Me voici, Papa. Je te remets ma colère envers maman. Enfin, celle qui est censé d’être ma mère. Pourquoi me hais-t-elle ? Nous sommes bien allés chez le médecin  hier pour Loufi. J’étais resté dans la salle d’attente. Quand ils sont sortis du cabinet, le médecin m’a aperçu et a demandé de me voir. Ma mère a refusé sous prétexte que je vais très bien. Je me suis levé pour essayer au cas où. Elle m’a regardé sévèrement, avec des yeux noirs. Je n’ai pas eu peur. Je suis passé devant elle et m’a murmuré que j’allais passer un mauvais quart d’heure. Le médecin n’a pas entendu mais il me semblait qu’il avait deviné. Il a assuré à ma mère qu’il n’en avait pas pour longtemps. C’est vrai que c’était court mais ô combien intense et libérateur. Il m’a ausculté et posé quelques questions. Puis discrètement, il m’a dit : «  Je vais voir ce que je peux faire pour toi. » Je me suis senti écouté, entendu. Cela m’avait fait un bien fou. Tellement cela m’avait fait du bien que cela m’a donné de la force pour la suite. Je savais bien ce qui allait m’arriver. Mais pas complètement. J’ai connu pire. Nous sommes rentrés à la maison après avoir déposé Loufi à l’école. En arrivant au bas de l’immeuble, elle m’a emmené à la cave et frappé. Elle m’a enfermé et m’a menacé qu’elle me tuerait si je la dénonçais. Alors je suis resté toute la journée d’hier dans le noir, avec à peine de l’air qui arrivait par une petite fenêtre. J’avais attendu jusqu’au soir à rester à peine allongé tellement il y avait le bazar. Maman m’a ramené à l’appart. J’ai été assommé par la lumière et la fatigue. J’ai pu boire et me suis écroulé sur mon matelas.

Voilà, Papa, Maman est sorti et m’a enfermé à clé. Je suis trop faible pour m’enfuir et même pour crier. Mais j’ai de la force pour t’écrire et te dire ma haine envers ma mère.

Merde, maman revient déjà….

Vendredi 18 juin

                Je n’ai plus mal Papa. Je vais mieux. Je peux t’écrire. Maman n’a pas réussi à me tuer. Je suis sûr que c’est toi, quelque part qui m’a protégé. Tu dois penser à moi pour que je réussisse à vivre. Je respire doucement, allongé à moitié sur mon lit, sur une tablette d’hôpital. Je suis heureux de pouvoir t’écrire. Soulagé d’être loin de la maison. Ici, je suis en sécurité. Les infirmières sont très gentilles dont une très mignonne qui change mes pansements. Mes jambes sont dans le plâtre. Je ne pourrai pas marcher avant longtemps. Mais je remarcherai, ça c’est sur et j’irai à ta recherche. J’irai vivre avec toi. Pour l’instant, il me faut être soigné. C’est étrange, je ne suis plus en colère. Peut-être que je suis loin de ma « famille ». Un de mes potes, Phil, est venu me voir avant que je t’écrive. Il m’a apporté pleins de BD et une grande carte avec pleins de signatures. Je me sens moins seul. Merci Papa…. Je reprends vite mon stylo pour te dire que deux clowns viennent me rendre visite. J’ai accepté leurs venues. Je te raconterai ça.

Même jour

                C’était trop bien Papa ! Ils m’ont trop fait rire surtout le professeur Hopopop avec sa petite barbiche et son air savant. Ah si tu avais entendu comme il parlait ! Il était trop drôle. Puis le deuxième, c’était une clown. Zoé’lastique. Elle faisait des acrobaties de ouf et faisait des pouêt-pouêt avec ses gants jaunes en guise chapeau. Ma chambre d’hôpital était devenue une aire de jeu pour eux. Tous les deux m’ont fait un bien fou. J’ai senti beaucoup de douceur et de tendresse, puis d’énergie et une folle envie de sourire et rire.  En partant, ils m’ont laissé un nez rouge. Mon premier cadeau. Peut-être que je ne suis pas un homme mais j’ai pleuré. Pleuré de joie Papa, mais pleuré quand même.

Papa, je veux m’en sortir. Quand je remarcherais, j’irai semer ce que j’ai reçu aujourd’hui, à mes voisins dans la même galère que moi.

J’ai toujours mes jambes dans le plâtre, et alors ? Maman m’a abandonnée, et alors ? Je suis loin de ma famille, et alors ? Je sais ce que je vaux. Ici, je me sens reconnu. On prend soin de moi.  Je relis sans cesse la superbe carte de ma classe. Cela me dynamise, me motive. Oui, j’espère Papa. Je t’aime Papa même si je ne te connais pas. Je te retrouverai un jour, c’est sûr. Promis !

Vendredi 13 aout

                Les jours passent et se ressemblent presque. Réveil à 6 heures du matin pour les premiers soins. Petit-déjeuner à 7h30. Kiné à 10h. Repas à 11h30. Visite normalement entre 14h et 20h. Ostéopathe à 16h. En revenant à la chambre, j’espère toujours avoir une bonne surprise. Mais rien de palpitant depuis fin juin. Je suis triste, Papa. J’ai envie de pleurer. J’ai l’impression d’avoir un container dans ma poitrine et qu’il suffirait d’un petit robinet pour tout lâcher. Mais je reste confiant, tu sais. Même triste, cela ne m’empêche pas de sourire aux infirmières, de rire en lisant des bandes dessinées. Mais quand je suis seul pendant un temps, j’ai l’impression de m’enfoncer dans le lit de solitude….

C’est quand même fou ce qu’on peut vivre en une journée. Je te disais que j’étais triste depuis quelques temps et là, je suis dingue de joie. Complètement hilare, Papa.  Une grand-mère est venue me voir à l’instant. En fait, c’était la mère de ma mère que je n’avais jamais connu. Elles s’étaient fâchés et ne se parlaient presque plus. Ma grand-mère avait appris que j’étais à l’hôpital par hasard, hier. Elle est venue de très loin. Grâce à elle, j’ai su où j’étais vraiment né. Je retrouverai ta trace Papa !

Samedi 14 aout

                Je relis encore une fois mon acte de naissance donné par ma grand-mère hier. Je suis né le 18 octobre 1999  à 19h52 à l’hôpital saint Louis, de Arsène Gomèse Badiane et de Catherine Emmanuelle Sansnom. J’ai déjà regardé un atlas et je me suis mis à t’imaginer Papa sur les rives du fleuve. A t’imaginer en train de me guetter à l’horizon. Je me mets à rêver à décoller pour le Sénégal, à découvrir ma vraie famille. Ma grand-mère m’a juste raconté comment je suis né mais elle lui reste des zones d’ombre. Elle ne sait rien de plus. J’avais senti qu’elle me cachait des choses mais peu importe. Je sais maintenant d’où je viens. Je suis heureux. J’ai un but pour pouvoir marcher, guérir plus vite. Te rencontrer, te connaitre Papa.

Attends, j’entends des cris dans le couloir….

Papa, je tremble. C’était maman qui a essayé de me voir. Elle a essayé de forcer le passage. Je l’ai à peine aperçu. Elle a crié : «  Rami, je t’interdis d’aller au Sénégal. Sinon,  J’aurai ta peau. » Puis un flic l’a embarqué. Un médecin est venu me voir pour me dire que je changerai d’hôpital par mesure de sécurité, avec l’accord du juge. Qu’as-tu donc fait Papa pour que je sois interdit de séjour chez toi ?

Malgré cette peur qui me tenaille, une folle envie de défier ma mère me prend. Je veux prendre ce risque. Je me préparerai au voyage.

Samedi 4 septembre

                Enfin, je peux marcher tout seul Papa. Je vais être hébergé dans un foyer le temps qu’on me trouve une famille d’accueil. Ma mère est enfin en prison et mon petit frère Loufi est chez ma grand-mère. Je viens de sortir de l’hôpital. Un éducateur est venu me voir pour préparer mon séjour au foyer.  Je ne suis pas inquiet. Je lui ai juste parler de toi et il m’avait promis qu’on préparerait mon voyage. Peut-être pour les vacances de Toussaint ?

Lundi 27 septembre

                Je prends le temps de t’écrire Papa. Ma vie au foyer se passe à peu près bien même si mes voisins de chambre m’emmerdent parfois. Ils font les durs et me provoquent à la bagarre. Le souci est que je n’ai pas de forces. Pas pour l’instant. Cela viendra. Je continue d’aller à au collège où je galère un peu. J’ai du mal à me concentrer. Heureusement, mon prof principale est au courant de mon histoire et m’encourage.

Jeudi 30 septembre

                Il me faut une autorisation de sortie par mes parents pour sortir du territoire. . Ma mère, déchu de l’autorité parentale et toi, inexistant pour l’administration, je suis mal barré. Mais heureusement, j’aurai un tuteur. Je le verrai demain avec le juge.

Vendredi 1er octobre

                Trop bien. Le tuteur est partant pour mon projet d’essayer de te retrouver. Je suis fou de joie. J’ai du mal à tenir en place. Je te laisse. Je vais fêter ça avec le foyer. Les éducs m’ont prévu une soirée sur le Sénégal, un repas typique et de la bonne musique. Tous mes potes du collège se sont réunis pour récolter des fonds pour payer mon voyage. A très bientôt papa.

Vendredi 15 octobre

                J’irai te rejoindre à Noel. Il n’y avait plus de places pendant les vacances de Toussaint pour Dakar. Pour que je mérite vraiment mon voyage, je te promets de bosser à fond. Pour que tu sois fier de moi. Les vaccins ont été faits. Je suis prêt….

Samedi 18 décembre

                Papa, je me disais bien que c’était trop beau. On m’avait bien dit que j’avais une chance énorme d’avoir un foyer aussi attentionné à mon égard et des potes qui voulaient bien m’offrir le voyage. En me relisant et en vivant au jour au jour, je me suis rendu compte que je vivais dans un monde en parallèle. Les potes m’ont fait croire qu’ils récoltaient des sous. Juste pour me faire plaisir. Ils n’ont rien récolté. Où à peine, juste de quoi s’acheter des carambars. Je me sens complètement trahi Papa. Je me suis trop emballé. Puis pour le foyer, tout était de façade, pour du beurre. Ils ont exploité mon histoire à court terme. Croyant bien faire, je pense, pour garder le moral après la tentative de meurtre de maman à mon égard.

Mais je garde le cap, malgré tout. Je me documente sur le Sénégal, j’ai envoyé une lettre à la maternité où je suis né et la préfecture de Saint Louis. Pour savoir où tu habites maintenant, si t’es encore vivant. Je n’ai reçu aucune réponse. Je ne désespère pas.

Alors je fais quoi maintenant ? Je fugue pour tenter de rejoindre le Sénégal ?

J’ai oublié de te dire Papa que je vais aller dans une famille d’accueil pour Noel pour rester un temps ensuite. Voudront-ils de mon projet d’aller à ta recherche ?

Je ne sais pas trop quoi espérer mais je ne veux pas baisser les bras. Qu’est-ce qui est de l’ordre du raisonnable ? En qui faire confiance ?   Est-ce que juste savoir ton nom me suffit à te connaitre ? Non, bien sûr. Attendre ? Saisir quelle opportunité ?

Je suis à court. Je me sens perdu.

Ne m’abandonne pas !

Vendredi 31 décembre

                Papa, j’ai pris ma décision. Ma famille d’accueil ne veut pas entendre parler de mon projet. Ils me disent que je doive faire le deuil d’un père absent. Pour eux, je dois t’oublier et me construire un avenir pour partir sur de bonnes bases. Ils m’imposent des règles que je refuse. Ils sont en train de faire leur réveillon. Je me suis enfermé dans une petite chambre qui donne sur une petite cour, avec une vue sur le métro. Sur mon soi-disant bureau, j’ai mes économies. 250 euros. Je ne me rends pas vraiment compte si c’est beaucoup ou pas. Mais je veux prendre le risque de partir à ta recherche. Mais par où commencer ? Dehors, il fait nuit. Il fait doux pour la saison.

J’y vais.

Lundi 1er janvier

                Je suis gelé mais heureux de ma décision. J’ai pu prendre le dernier métro cette nuit. Puis j’ai tout fait pour atterrir sur une aire de péage à la recherche d’un camion en direction de Marseille. J’avais tenté d’écouter des conversations. Puis j’ai pu trouver. Je me suis faufilé dans une remarque où un morceau de bâche était mal fixé. Tout roule pour l’instant. J’ai dans mon sac à dos, juste une bonne bouteille d’eau, des barres de céréales, mes sous, ma carte d’identité. Je suis coincé entre deux caisses mais assez pour m’assoir. Cela m’a rappelé des souvenirs de cave. Mais là, c’est pour une bonne cause. Avec ma lampe de pose, j’arrive à t’écrire Papa. J’espère que tu ne m’en voudras pas. Mon objectif est de prendre le ferry en direction du Maroc puis après le Sénégal à travers le désert. Je suis fou ? Peut-être. Je n’ai plus rien à perdre. Mon but, c’est toi Papa.

Vendredi 12 janvier

                J’ai réussi Papa ! Je suis dans l’avion. J’arrive dans 5 heures à Dakar. Mais comment ? Tu me diras.  C’est génial. C’est complètement dingue. Tu sais que j’étais dans le camion en direction de Marseille. Le conducteur m’a découvert à l’arrivée parce que j’étais coincée. Je n’avais pas pu ressortir discrètement de ma cachette. Il avait appelé son patron dans un énorme dépôt de marchandises. Le chef m’a amené dans son bureau qui surplombait le hangar. Il avait pris le temps d’écouter mon histoire. Il m’a vraiment cru et m’avait annoncé que ça tombait bien car il partait avec sa famille au Sénégal la semaine d’après. Un coup de bol énorme. Un de ses fils ne pouvait plus venir car il s’était cassé une jambe. Alors je pourrai le remplacer. Mais pour ça, il a dû téléphoner à ma famille d’accueil pour la rassurer, puis à mon tuteur pour organiser tout ça. Le chef s’appelle Mr Chiarré. J’ai été très bien accueilli par sa famille. Sa femme m’a choyé, a bien pris soin de moi. Ils ont trois enfants. Ils ont tous fait pour que je sois accueilli dans les meilleures conditions. Ils m’ont acheté des vêtements. Je jubile Papa ! Je suis à côté du hublot et j’ai encore du mal à réaliser tout cela. Nous survolons l’Espagne.

Normalement, ils avaient prévu d’aller à Nianing sur la côte au sud de Dakar. Nous irons donc dans un hôtel avec piscine à Saint Louis.  Mr Chiarre m’accompagnera dans ma recherche. Nous te retrouverons, je suis sûr et certain, Papa !

Samedi 13 janvier

                Nous sommes à l’hôtel Mermoz sur la langue de Barbarie, au sud de Saint Louis. Nous avons une vue énorme sur l’océan, avec du sable à perte de vue du nord au sud. Nous sommes abrités par des palmiers et des bougainvilliers. Les chambres sont dans des bâtiments rectangulaires jaunes ou oranges. Je pensais qu’il ferait chaud et humide. Mais non, il fait frais, pas mal de vent et il fait gris. Peu importe. Je ne suis pas loin de toi Papa. Je t’écris du bar où je bois mon premier bissap. Trop bon.

Mme Chiarre m’annonce à l’instant que nous partons pour la ville.

J’arrive Papa !

Epilogue

C’est ainsi que Rami est parti dans les rues de Saint Louis avec la famille Chiarre. Ils sont allés à l’hôpital. Ils ont bien une adresse. C’est dans le quartier Goxu Mbathié.

Ils longent en calèche le fleuve avec les immenses pirogues qui attendaient sagement pour partir vers le large. Rami est silencieux. Il observe quelques enfants jouer au ballon sur la plage parsemés de déchets de toutes sortes. Ils passent devant des boutiques où l’on trouve de tout. On entend des rires.

Enfin, ils arrivent à l’adresse. Ils sont à l’orée d’une grande place vide sableuse où jouent d’autres enfants. Dans la petite cour devant la maison, une femme fait le ménage avec un balai paille.

Salutations. Présentations. C’est la femme d’Arsène. Quand elle a entendu l’histoire de Rami. Elle se met dans un état de joie incroyable. Elle prend Rami dans ses bras. Elle crie : «  T’es vivant ! T’es vivant ! ». Puis elle appelle Arsène. Ce dernier arrive boitant avec une béquille. Il est en grand boubou bleu d’azur et porte un chèche bleu gris autour de son cou. Il reste immobile en observant Rami. «  Et ta mère ? ».

«  En prison ! »

« Elle la mérite » répond son père.

La femme d’Arsène invite tout le monde à s’assoir dans le salon. Elle part préparer le thé. Arsène reste encore impassible mais à l’intérieur de lui, il est tout chamboulé.

Quand le thé est servi, Arsène raconte enfin leur histoire.

Il a rencontré sa femme dans un centre de désintoxication. Il était infirmier. Elle, elle était de passage. Ils sont sortis ensemble et puis elle est tombée enceinte. Cela a été 9 mois de galère pour Arsène car sa famille le rejetait. Il était père d’un enfant illégitime. Pour sauver son honneur, ils se sont mariés à la mairie de Saint-Louis. A peine deux semaines après la naissance de Rami, sa femme a pété les plombs en battant son mari. Elle l’a laissé comme mort et elle est partie avec le bébé sans plus donné de nouvelles. Pour Arsène, ils n’existaient plus. Il est resté infirme depuis et peu juste travailler de ses mains en fabriquant des statuettes.

Rami sort son journal et le donne à son père.

Silence. Lecture.

Larmes d’Arsène.

«  Mon fils ! »

«  Papa »

FIN

Synthèse de la journée d’étude du CNAHES – 21 mai 2014 – Lyon

«  Jalons pour une histoire du handicap : nommer, classer pour inclure »

La journée a été dédié à Jean Oury, récemment décédé, grande figure de la psychothérapie institutionnelle.

Citations de Jean Oury :

« Être au plus proche, ce n’est pas toucher : la plus grande proximité est d’assumer le lointain de l’autre. »

« Soigner les malades sans soigner l’hôpital, c’est de la folie. »

 

L’introduction de la journée s’est portée sur le regard de chaque société, chaque culture sur le handicap qui conditionne la place des personnes et leurs catégorisations.

 

Au sein du CNAHES, il y a un souci de faire travailler l’histoire dans l’institution, un souci d’archiver pour avoir une trace des témoignages de gens qui ont vécu dans l’institution en tant que personne accueilli ou accueillant.

Jean-Christophe Coffin, historien des sciences du psychisme à Paris V, a présenté l’histoire des mots, des normes à travers l’histoire moderne et contemporaine.

Il spécifie bien que son travail d’historien se fait toujours en lien avec les professionnels. Chaque mot est à mettre en lumière en fonction du contexte social, des acteurs politiques ou scientifiques. On ne peut pas porter de jugements avant de connaitre les faits.

Au XIX siècle, le concept d’incurabilité dominait auprès des infirmes et des politiques pensaient au triage des «  déchets sociaux ».

Ce n’est qu’à partir de la première guerre mondiale, que la société s’est rendu compte que le handicap pouvait être provoqué par des individus, donc ce n’est pas seulement une tare héréditaire, une erreur de l’évolution humaine. La figue du mutilé devient une image forte et la prise en charge s’est mué dans une question de réparation. La société est obligée de faire face au handicap et se doit de mettre en place une logique de réparation morale, sociale et surtout médicale.

L’handicap est devenu une affaire d’état car ce sont les structures associatives qui prennent en charge ce domaine.

En 1965, la revue Esprit a abordé le thème de l’enfance handicapé, qui est le signe d’une nouvelle attention porté par l’extérieur.

Enfin, en 1975, sort la première grande loi qui st dans une logique de compensation tant au niveau médicale, sociale et éducative.

Depuis, tout un jeu se joue sur la perception de la société sur le handicap pour arrêter la compassion et qu’elle doit s’adapter à la personne handicapée.

Plusieurs notions ont émergé des réflexions de Mr Coffin tel que la notion de lenteur car le changement se fait très doucement, puis la notion de visibilité avec la question de l’identité : «  Jamais sans nous ».

Enfin, il y a la notion de décalage entre ce que vivent les personnes handicapés et ceux qui mettent en place des mesures pour eux : «  L’enfer est pavé de bonnes intentions ».

 

 

 

Plusieurs noms ont été évoqués pour parler du travail de classification, de la nomenclature effectué entre 1936 et 1943 :

–          Georges Heuyer – Clinique de l’observation

–           Daniel Lagache – Techniques et méthodes de dépistages pour les enfants inadaptés

 

Un autre sujet a été abordé autour de la frontière entre la maladie et l’handicap.

Nous avons parcouru l’histoire des termes entre l’idiotie, les arriérés et surtout l’idée du soin où au 19ème siècle l’objectif était de dépister et de prévenir pour écarter les arriérés pour éviter la contagion. Ce phénomène était très marqué chez les enfants. Au niveau institutionnel, c’était le même fonctionnement que pour les tuberculeux, les malades de la syphilis.

C’est donc après la guerre qu’il y a eu une évolution de la pensée avec l’apparition de la neuropsychiatrie infantile avec un travail sur le dispositif familial et le développement de l’enfant. Un intérêt se porte sur la vie psychique de l’enfant.

 

La classification est un langage commun dans un souci de diagnostiquer et de pouvoir répondre à des besoins, à des demandes.

Toute une histoire sur l’autisme a été évoquée à travers Léon Kanner et Asperger

 

Une intervention a été faite aussi sur le thème :

«  De la classification de Bourneville au DSM ; savoirs scientifiques ou disciplines gestionnaires ? »

La classification est une démarche scientifique, un codage, un cadre administratif pour structurer le secteur et une définition du public pour déterminer la politique du développement de l’insitution.

Deux auteurs, Alfred Binet ( 1857-1911) et Maurice Carité (1906-1979)ont bien spécifié que le fait de nommer un trouble ne le fait pas disparaitre.

Le concept du Handicap est apparu en 1975 :

« […]Le Gouvernement, sur ce point, a choisi  une conception très souple et très empirique : sera désormais considérée comme handicapée toute personne reconnue comme telle par les commissions départementales prévues par les articles 4, pour les mineurs, et 11, pour les adultes, du projet.[…] »Simone Weil, le 4 avril 1975 au Sénat, p. 291.

Compte-rendu au sénat

C’est dans les années 2000 qu’il y a un changement de paradigme avec l’idée que la culture du moyen devient une culture de résultat. La notion de l’usager pose beaucoup de question.

A côté des savoirs scientifiques, il y a la place pour d’autres savoirs :

–          L’expérience du handicap

–          La clinique du handicap

–          Et le vécu des parents

 

Une riche histoire de la fondation Richard à Lyon a été aussi développée.

 

La journée fut très dense en informations, en partage surtout avec les témoignages de trois professionnels, deux directeurs dont un de l’Echappée  et une infirmière en psychiatrie, présidente de l’Orloges.

C’est pourquoi je voulais juste vous partager une partie de ce que j’avais noté.

Les notions que je retiendrai est la notion d’identité de la personne, et une relation humaine à trouver chez l’autre qui est différent.

 

Pour en savoir plus, vous pouvez aller voir sur le site du Cnahes, très intéressant sur l’histoire des institutions. Et l’importance des archives.

Journal à mon père inconnu – 8

Samedi 18 décembre

Papa, je me disais bien que c’était trop beau. On m’avait bien dit que j’avais une chance énorme d’avoir un foyer aussi attentionné à mon égard et des potes qui voulaient bien m’offrir le voyage. En me relisant et en vivant au jour au jour, je me suis rendu compte que je vivais dans un monde en parallèle. Les potes m’ont fait croire qu’ils récoltaient des sous. Juste pour me faire plaisir. Ils n’ont rien récolté. Où à peine, juste de quoi s’acheter des carambars. Je me sens complètement trahi Papa. Je me suis trop emballé. Puis pour le foyer, tout était de façade, pour du beurre. Ils ont exploité mon histoire à court terme. Croyant bien faire, je pense, pour garder le moral après la tentative de meurtre de maman à mon égard.

Mais je garde le cap, malgré tout. Je me documente sur le Sénégal, j’ai envoyé une lettre à la maternité où je suis né et la préfecture de Saint Louis. Pour savoir où tu habites maintenant, si t’es encore vivant. Je n’ai reçu aucune réponse. Je ne désespère pas.

Alors je fais quoi maintenant ? Je fugue pour tenter de rejoindre le Sénégal ?

J’ai oublié de te dire Papa que je vais aller dans une famille d’accueil pour Noel pour rester un temps ensuite. Voudront-ils de mon projet d’aller à ta recherche ?

Je ne sais pas trop quoi espérer mais je ne veux pas baisser les bras. Qu’est-ce qui est de l’ordre du raisonnable ? En qui faire confiance ?   Est-ce que juste savoir ton nom me suffit à te connaitre ? Non, bien sûr. Attendre ? Saisir quelle opportunité ?

Je suis à court. Je me sens perdu.

Ne m’abandonne pas !

 

( A suivre)

Qui suis-je? Jason ou Pierre-Henri?

Je m’appelle Jason.

Jason Richard, né en 1972.

Je suis avocat d’affaires à Bourgoin.

J’aime jouer du violon et des percussions.

 

Je m’appelle Kévin.

Kévin Bergein, né en 1945.

Je suis à la retraite.

J’ai été secrétaire médical à Vincennes.

 

Je m’appelle Pierre-Henri.

Pierre-Henri De La Galaire, né en 1987.

Je suis agent d’entretien à Clampin.

Je fais souvent du golf et de la couture.

 

Je m’appelle Liliane.

Liliane Ben Ducloux, né en 1975.

Ecrivain public à Berck.

Je suis conseillère municipale.

 

Je m’appelle Maguy.

Maguy Tendre, né en 1992.

Je me forme pour être prof de sport.

Je suis passionnée par le modélisme.

 

Je m’appelle Inès.

Lucile Bhruthaleux, né en 1969.

Je suis caissière à Versailles.

Je suis classée 2/5 au tennis

Et ait affronté deux fois Steffi Graff.

 

Je ne donne pas mon prénom ni mon nom.

Je suis né à une certaine année.

Je fais un certain métier qui m’épanouit.

Je suis engagé, passionné pour une certaine cause

Sur lequel je n’ai pas à me justifier.

Qui pensez-vous que je pourrais être ?

M’imaginez-vous noir, beur ou jaune ?

Qu’est-ce que ça change pour vous de savoir mon origine, mon passé ?

Qu’est-ce que cela veut dire ?

Mon prénom peut vous induire en erreur ainsi que mon nom de famille.

Vous-êtes sur ?

Très bien, je m’appelle Nassim De La Marinière.

Alors, quel effet cela vous fait ?