Journal à mon père inconnu – 10

Vendredi 12 janvier

                J’ai réussi Papa ! Je suis dans l’avion. J’arrive dans 5 heures à Dakar. Mais comment ? tu me diras.  C’est génial. C’est complètement dingue. Tu sais que j’étais dans le camion en direction de Marseille. Le conducteur m’a découvert à l’arrivée parce que j’étais coincée. Je n’avais pas pu ressortir discrètement de ma cachette. Il avait appelé son patron dans un énorme dépôt de marchandises. Le chef m’a amené dans son bureau qui surplombait le hangar. Il avait pris le temps d’écouter mon histoire. Il m’a vraiment cru et m’avait annoncé que ça tombait bien car il partait avec sa famille au Sénégal la semaine d’après. Un coup de bol énorme. Un de ses fils ne pouvait plus venir car il s’était cassé une jambe. Alors je pourrai le remplacer. Mais pour ça, il a dû téléphoner à ma famille d’accueil pour la rassurer, puis à mon tuteur pour organiser tout ça. Le chef s’appelle Mr Chiarré. J’ai été très bien accueilli par sa famille. Sa femme m’a choyé, a bien pris soin de moi. Ils ont trois enfants. Ils ont tous fait pour que je sois accueilli dans les meilleures conditions. Ils m’ont acheté des vêtements. Je jubile Papa ! Je suis à côté du hublot et j’ai encore du mal à réaliser tout cela. Nous survolons l’Espagne.

Normalement, ils avaient prévu d’aller à Nianing sur la côte au sud de Dakar. Nous irons donc dans un hôtel avec piscine à Saint Louis.  Mr Chiarre m’accompagnera dans ma recherche. Nous te retrouverons, je suis sûr et certain, Papa !

Samedi 13 janvier

                Nous sommes à l’hôtel Mermoz sur la langue de Barbarie, au sud de Saint Louis. Nous avons une vue énorme sur l’océan, avec du sable à perte de vue du nord au sud. Nous sommes abrités par des palmiers et des bougainvilliers. Les chambres sont dans des bâtiments rectangulaires jaunes ou oranges. Je pensais qu’il ferait chaud et humide. Mais non, il fait frais, pas mal de vent et il fait gris. Peu importe. Je ne suis pas loin de toi Papa. Je t’écris du bar où je bois mon premier bissap. Trop bon.

Mme Chiarre m’annonce à l’instant que nous partons pour la ville.

J’arrive Papa !

( A suivre…. Epiloque et fin demain)

T’écrire une lettre

J’aimerai t’écrire une lettre

Une certaine lettre

Pour mettre les choses à plat.

Comment t’atteindre sans que tu te fâches ?

Comment te rejoindre et que tu comprennes ?

J’aimerai te dire que tu n’es pas responsable.

Pas responsable de ce qui fait ma vie.

Pas responsable de qui fait mon handicap.

Que je sois aveugle, tu n’y es pour rien.

Que j’ai des pieds bots, tu n’y es pour rien.

Que j’ai une maladie génétique, tu n’y es pour rien.

Que je sois sourd, tu ne pouvais rien faire

Ni même changer le cours de mon histoire,

Qui fait bien sûr partie de ton histoire

Mais qui n’est pas ton histoire.

J’aimerai t’écrire cette lettre

Pour t’amener à ne plus souffrir pour moi.

Pas à ma place. Pitié, pas de lamentations.

La vie est ainsi faite malgré les deuils à vivre.

Le deuil d’avoir son enfant comme les autres.

Le deuil d’être une mère parfaite.

Le deuil d’une vie droite et paisible.

Jamais je ne t’en voudrais parce que tu m’as engendré

Avec des blessures génétiques, des petits ratés.

Ne porte pas trop le poids de la culpabilité.

Tu n’es pas coupable pour ce que je suis.

La vie est faite de cabossages et de fissures.

Je voudrais te dire ces mots pour être aimé

De façon le plus juste possible.

Mon handicap est le revers d’une médaille.

De l’autre côté, c’est la rage de vivre.

Alors, ne t’inquiète pas, aie confiance.

Comme pour mes frères dans la galère génétique,

Chacun même sa propre vie à son rythme

Avec l’énergie influée par l’entourage.

Je t’écris cette lettre pour tenter d’apaiser

Les maux causés par le handicap de tes fils.